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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/168

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fort comme la mort

Les yeux des deux femmes s’étaient tournés vers le dehors et regardaient au-dessous d’un ciel bleu clair, un peu voilé par cette brume de midi qui miroite sur les terres imprégnées de soleil, la longue pelouse verte du parc, avec ses îlots d’arbres de place en place et ses perspectives ouvertes au loin sur la campagne jaune illuminée jusqu’à l’horizon par la nappe d’or des récoltes mûres.

— Nous ferons une longue promenade après déjeuner, dit la comtesse. Nous pourrons aller à pied jusqu’à Berville, en suivant la rivière, car il ferait trop chaud dans la plaine.

— Oui, maman, et nous prendrons Julio pour faire lever les perdrix.

— Tu sais que ton père le défend.

— Oh, puisque papa est à Paris ! C’est si amusant de voir Julio en arrêt. Tiens, le voici qui taquine les vaches. Dieu, qu’il est drôle !

Repoussant sa chaise, elle se leva et courut à une fenêtre d’où elle cria : « Hardi, Julio, hardi ! »

Sur la pelouse, trois lourdes vaches, rassasiées d’herbe, accablées de chaleur, se reposaient couchées sur le flanc, le ventre saillant, repoussé par la pression du sol. Allant de l’une à l’autre avec des aboiements, des gambades folles, une colère gaie, furieuse et feinte, un épagneul de chasse, svelte, blanc et roux, dont les oreilles frisées s’envolaient à chaque bond, s’acharnait à faire lever les trois grosses bêtes qui ne voulaient pas. C’était là, assurément, le jeu favori du chien, qui devait le recommencer chaque fois qu’il apercevait les vaches étendues. Elles, mécontentes, pas effrayées, le regardaient de leurs gros yeux mouillés, en tournant la tête pour le suivre.