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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/182

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fort comme la mort

mes cheveux, mon caractère qui change, la tristesse qui vient. Sacristi, voilà une chose que je n’ai pas connue jusqu’ici : la tristesse ! Si on m’eût dit, quand j’avais trente ans, qu’un jour je deviendrais triste sans raison, inquiet, mécontent de tout, je ne l’aurais pas cru. Cela prouve que mon cœur aussi a vieilli.

Elle répondit avec une certitude profonde :

— Oh ! moi, j’ai le cœur tout jeune. Il n’a pas changé. Si, il a rajeuni peut-être. Il a eu vingt ans, il n’en a plus que seize. Ils restèrent longtemps à causer ainsi dans la fenêtre ouverte, mêlés à l’âme du soir, tout près l’un de l’autre, plus près qu’ils n’avaient jamais été, en cette heure de tendresse, crépusculaire comme l’heure du jour.

Un domestique entra, annonçant :

— Madame la comtesse est servie.

Elle demanda :

— Vous avez prévenu ma fille ?

— Mademoiselle est dans la salle à manger.

Ils s’assirent à table, tous les trois. Les volets étaient clos, et deux grands candélabres de six bougies, éclairant le visage d’Annette, lui faisaient une tête poudrée d’or. Bertin, souriant, ne cessait de la regarder.