Aller au contenu

Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
fort comme la mort

— Dieu qu’elle est jolie en noir ! disait-il.

Et il se tournait vers la comtesse en admirant la fille, comme pour remercier la mère de lui avoir donné ce plaisir.

Lorsqu’ils furent revenus dans le salon, la lune s’était levée sur les arbres du parc. Leur masse sombre avait l’air d’une grande île, et la campagne au delà semblait une mer cachée sous la petite brume qui flottait au ras des plaines.

— Oh ! maman, allons nous promener, dit Annette.

La comtesse y consentit.

— Je prends Julio.

— Oui, si tu veux.

Ils sortirent. La jeune fille marchait devant en s’amusant avec le chien. Lorsqu’ils longèrent la pelouse, ils entendirent le souffle des vaches qui, réveillées et sentant leur ennemi, levaient la tête pour regarder. Sous les arbres, plus loin, la lune effilait entre les branches une pluie de rayons fins qui glissaient jusqu’à terre en mouillant les feuilles et se répandaient sur le chemin par petites flaques de clarté jaune. Annette et Julio couraient, semblaient avoir sous cette nuit sereine le même cœur joyeux et vide, dont l’ivresse partait en gambades.

Dans les clairières où l’onde lunaire descendait ainsi qu’en des puits, la jeune fille passait comme une apparition, et le peintre la rappelait, émerveillé de cette vision noire, dont le clair visage brillait. Puis, quand elle était repartie, il prenait et serrait la main de la comtesse, et souvent cherchait ses lèvres en traversant des ombres plus épaisses, comme si, chaque fois, la vue d’Annette avait ravivé l’impatience de son cœur.