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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/195

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fort comme la mort

rudement bon d’être, ou de se croire jeune. Ah oui ! ah oui ! il n’y a que ça ! Quand on n’aime plus courir, on est fini !

En sortant de table, la comtesse qui, pour la première fois, la veille, n’avait pas été au cimetière, proposa d’y aller ensemble, et ils partirent tous les trois pour le village.

Il fallait traverser le bois où coulait un ruisseau qu’on nommait la Rainette, sans doute à cause des petites grenouilles dont il était peuplé, puis franchir un bout de plaine avant d’arriver à l’église bâtie dans un groupe de maisons abritant l’épicier, le boulanger, le boucher, le marchand de vins et quelques autres modestes commerçants chez qui venaient s’approvisionner les paysans.

L’aller fut silencieux et recueilli, la pensée de la morte oppressant les âmes. Sur la tombe, les deux femmes s’agenouillèrent et prièrent longtemps. La comtesse, courbée, demeurait immobile, un mouchoir dans les yeux, car elle avait peur de pleurer, et que les larmes coulassent sur ses joues. Elle priait, non pas comme elle avait fait jusqu’à ce jour, par une espèce d’évocation de sa mère, par un appel désespéré sous le marbre de la tombe, jusqu’à ce qu’elle crût sentir à son émotion devenue déchirante que la morte l’entendait, l’écoutait, mais simplement en balbutiant avec ardeur les paroles consacrées du Pater noster et de l’Ave Maria. Elle n’aurait pas eu, ce jour-là, la force et la tension d’esprit qu’il lui fallait pour cette sorte de cruel entretien sans réponse avec ce qui pouvait demeurer de l’être disparu autour du trou qui cachait les restes de son corps. D’autres obsessions avaient pénétré dans son cœur de femme, l’avaient