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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/228

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fort comme la mort

d’artiste et ses yeux d’homme étaient séduits par sa fraîcheur, par cette poussée de belle vie claire, par cette sève de jeunesse éclatant en elle ; et son cœur, plein des souvenirs de sa longue liaison avec la comtesse, trouvant, dans l’extraordinaire ressemblance d’Annette avec sa mère, un rappel d’émotions anciennes, des émotions endormies du début de son amour, avait peut-être un peu tressailli sous la sensation d’un réveil. Un réveil ? Oui ! C’était cela ? Cette idée l’illumina. Il se sentait réveillé après des années de sommeil. S’il avait aimé la petite sans s’en douter, il aurait éprouvé près d’elle ce rajeunissement de l’être entier, qui crée un homme différent dès que s’allume en lui la flamme d’un désir nouveau. Non, cette enfant n’avait fait que souffler sur l’ancien feu ! C’était bien toujours la mère qu’il aimait, mais un peu plus qu’auparavant sans doute, à cause de sa fille, de ce recommencement d’elle-même. Et il formula cette constatation par ce sophisme rassurant : — On n’aime qu’une fois ! Le cœur peut s’émouvoir souvent à la rencontre d’un autre être, car chacun exerce sur chacun des attractions et des répulsions. Toutes ces influences. font naître l’amitié, les caprices, des envies de possession, des ardeurs vives et passagères, mais non pas de l’amour véritable. Pour qu’il existe cet amour, il faut que les deux êtres soient tellement nés l’un pour l’autre, se trouvent accrochés l’un à l’autre par tant de points, par tant de goûts pareils, par tant d’affinités de chair, de l’esprit, du caractère, se sentent liés par tant de choses de toute nature, que cela forme un faisceau d’attaches. Ce qu’on aime, en somme, ce n’est pas tant Mme X… ou M. Z… c’est une femme ou un homme, une créature sans nom, sortie de la Nature, cette