Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
fort comme la mort

grande femelle, avec des organes, une forme, un cœur, un esprit, une manière d’être générale qui attirent comme un aimant nos organes, nos yeux, nos lèvres, notre cœur, notre pensée, tous nos appétits sensuels et intelligents. On aime un type, c’est-à-dire la réunion, dans une seule personne, de toutes les qualités humaines qui peuvent nous séduire isolément dans les autres.

Pour lui, la comtesse de Guilleroy avait été ce type, et la durée de leur liaison, dont il ne se lassait pas, le lui prouvait d’une façon certaine. Or, Annette ressemblait physiquement à ce qu’avait été sa mère ; au point de tromper les yeux, il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que son cœur d’homme se laissât un peu surprendre, sans se laisser entraîner. Il avait adoré une femme ! Une autre femme naissait d’elle, presque pareille. Il ne pouvait vraiment se défendre de reporter sur la seconde un léger reste affectueux de l’attachement passionné qu’il avait eu pour la première. Il n’y avait là rien de mal ; il n’y avait là aucun danger. Son regard et son souvenir se laissaient seuls illusionner. par cette apparence de résurrection ; mais son instinct ne s’égarait pas, car il n’avait jamais éprouvé pour la jeune fille le moindre trouble de désir.

Cependant la comtesse lui reprochait d’être jaloux du marquis. Était-ce vrai ? Il fit de nouveau un examen de conscience sévère et constata qu’en réalité il en était un peu jaloux. Quoi d’étonnant à cela, après tout ? N’est-on pas jaloux à chaque instant d’hommes qui font la cour à n’importe quelle femme ? N’éprouve-t-on pas dans la rue, au restaurant, au théâtre une petite inimitié contre le monsieur qui passe ou qui entre avec une belle fille au bras ? Tout possesseur de