Aller au contenu

Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
219
fort comme la mort

drôle ; mais, dès qu’il eut bu son café et joué soixante points au billard avec le banquier Liverdy, il sortit, déambula quelque peu de la Madeleine à la rue Taitbout, passa trois fois devant le Vaudeville en se demandant s’il entrerait, faillit prendre un fiacre pour aller à l’Hippodrome, changea d’avis et se dirigea vers le Nouveau-Cirque, puis fit brusquement demi-tour, sans motif, sans projet, sans prétexte, remonta le boulevard Malesherbes et ralentit le pas en approchant de la demeure de la comtesse de Guilleroy : « Elle trouvera peut-être singulier de me voir revenir ce soir ? » pensait-il. Mais il se rassura en songeant qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il prît une seconde fois de ses nouvelles.

Elle était seule avec Annette, dans le petit salon du fond, et travaillait toujours à la couverture pour les pauvres.

Elle dit simplement, en le voyant entrer :

— Tiens, c’est vous, mon ami ?

— Oui, j’étais inquiet, j’ai voulu vous voir. Comment allez-vous ?

— Merci, assez bien…

Elle attendit quelques instants, puis ajouta, avec une intention marquée :

— Et vous ?

Il se mit à rire d’un air dégagé en répondant :

— Oh ! moi, très bien, très bien. Vos craintes n’avaient pas la moindre raison d’être.

Elle leva les yeux en cessant de tricoter et posa sur lui, lentement, un regard ardent de prière et de doute.

— Bien vrai, dit-il.

— Tant mieux, répondit-elle avec un sourire un peu forcé.