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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/253

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fort comme la mort

d’un coup, avec un secret dedans. Elle ne pouvait plus y pénétrer par un mot familier, y pelotonner son affection comme en une retraite fidèle ouverte pour elle seule. À quoi sert d’aimer, de se donner sans réserve si, brusquement, celui à qui on a offert son être entier et son existence entière, tout, tout ce qu’on avait en ce monde, vous échappe ainsi parce qu’un autre visage lui a plu, et devient alors, en quelques jours, presque un étranger !

Un étranger ! Lui, Olivier ? Il lui parlait comme auparavant avec les mêmes mots, la même voix, le même ton. Et pourtant il y avait quelque chose entre eux, quelque chose d’inexplicable, d’insaisissable, d’invincible, presque rien, ce presque rien qui fait s’éloigner une voile quand le vent tourne.

Il s’éloignait, en effet, il s’éloignait d’elle, un peu plus chaque jour, par tous les regards qu’il jetait sur Annette. Lui-même ne cherchait pas à voir clair en son cœur. Il sentait bien cette fermentation d’amour, cette irrésistible attraction, mais il ne voulait pas comprendre, il se confiait aux événements, aux hasards imprévus de la vie.

Il n’avait plus d’autre souci que celui des dîners et des soirs entre ces deux femmes séparées par leur deuil de tout mouvement mondain. Ne rencontrant chez elles que des figures indifférentes, celle des Corbelle et de Musadieu le plus souvent, il se croyait presque seul avec elles dans le monde, et, comme il ne voyait plus guère la duchesse et le marquis à qui on réservait les matins et le milieu des jours, il les voulait oublier, soupçonnant le mariage remis à une époque indéterminée.

Annette d’ailleurs ne parlait jamais devant lui de