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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/252

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fort comme la mort

tenaient souvent des objets précieux, avait des serrements de cœur. Elle la connaissait bien, cette envie de donner que, femme, elle n’avait jamais pu satisfaire, cette envie d’apporter quelque chose, de faire plaisir, d’acheter pour quelqu’un, de trouver chez les marchands le bibelot qui plaira.

Jadis déjà le peintre avait traversé cette crise et elle l’avait vu bien des fois entrer, avec ce même sourire, ce même geste, un petit paquet dans la main. Puis cela s’était calmé, et maintenant cela recommençait. Pour qui ? Elle n’avait point de doute. Ce n’était pas pour elle !

Il semblait fatigué, maigri. Elle en conclut qu’il souffrait. Elle comparait ses entrées, ses airs, ses allures avec l’attitude du marquis que la grâce d’Annette commençait à émouvoir aussi. Ce n’était point la même chose M. de Farandal était épris, Olivier Bertin aimait ! Elle le croyait du moins pendant ses heures de torture, puis, pendant ses minutes d’apaisement, elle espérait encore s’être trompée.

Oh ! souvent elle faillit l’interroger quand elle se trouvait seule avec lui, le prier, le supplier de lui parler, d’avouer tout, de ne lui rien cacher. Elle préférait savoir et pleurer sous la certitude, plutôt que de souffrir ainsi sous le doute, et de ne pouvoir lire en son cœur fermé où elle sentait grandir un autre amour.

Ce cœur auquel elle tenait plus qu’à sa vie, qu’elle avait surveillé, réchauffé, animé de sa tendresse depuis douze ans, dont elle se croyait sûre, qu’elle avait espéré définitivement acquis, conquis, soumis, passionnément dévoué pour jusqu’à la fin de leurs jours, voilà qu’il lui échappait par une inconcevable, horrible et monstrueuse fatalité. Oui, il s’était refermé tout