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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/299

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fort comme la mort

seul encore une fois dans son hôtel, cette prison de ses souvenirs et de sa douloureuse agitation.

Quand le domestique entra, le lendemain matin, en apportant le thé et les journaux, il trouva son maître assis dans son lit, si pâle qu’il eut peur.

― Monsieur est indisposé ? dit-il.

— Ce n’est rien, un peu de migraine.

— Monsieur ne veut pas que j’aille chercher quelque chose ?

― Non. Quel temps fait-il ?

— Il pleut, monsieur.

— Bien. Cela suffit.

L’homme, ayant déposé sur la petite table ordinaire le service à thé et les feuilles publiques, s’en alla.

Olivier prit le Figaro et l’ouvrit. L’article de tête était intitulé : « Peinture moderne. » C’était un éloge dithyrambique de quatre ou cinq jeunes peintres qui, doués de réelles qualités de coloristes et les exagérant pour l’effet, avaient la prétention d’être des révolutionnaires et des rénovateurs de génie.

Comme tous les aînés, Bertin se fâchait contre ces nouveaux venus, s’irritait de leur ostracisme, contestait leurs doctrines. Il se mit donc à lire cet article avec le commencement de colère dont tressaille vite un cœur énervé, puis, en jetant les yeux plus bas, il aperçut son nom ; et ces quelques mots, à la fin d’une phrase, le frappèrent comme un coup de poing en pleine poitrine : « l’Art démodé d’Olivier Bertin… »

Il avait toujours été sensible à la critique et sensible aux éloges, mais au fond de sa conscience, malgré sa vanité légitime, il souffrait plus d’être contesté qu’il ne jouissait d’être loué, par suite de l’inquiétude sur lui-même que ses hésitations avaient toujours nourrie.