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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/304

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fort comme la mort

— Trop jeune ? Pourquoi ?

— Parce que la vie était trop douce. C’est à nos âges seulement qu’on aime en désespérés.

Elle demanda :

— Ce que vous éprouvez près d’elle ressemble-t-il à ce que vous éprouviez près de moi ?

— Oui et non… et c’est pourtant presque la même chose. Je vous ai aimée autant qu’on peut aimer une femme. Elle, je l’aime comme vous, puisque c’est vous ; mais cet amour est devenu quelque chose d’irrésistible, de destructeur, de plus fort que la mort. Je suis à lui comme une maison qui brûle est au feu !

Elle sentit sa pitié séchée sous un souffle de jalousie, et prenant une voix consolante :

— Mon pauvre ami ! Dans quelques jours elle sera mariée et partira. En ne la voyant plus, vous vous guérirez, sans doute.

Il remua la tête.

― Oh ! je suis bien perdu, perdu !

— Mais non, mais non ! Vous serez trois mois sans la voir. Cela suffira. Il vous a bien suffi de trois mois pour l’aimer plus que moi, que vous connaissez depuis douze ans.

Alors il l’implora dans son infinie détresse.

— Any, ne m’abandonnez pas !

— Que puis-je faire, mon ami ?

— Ne me laissez pas seul.

— J’irai vous voir autant que vous voudrez.

— Non. Gardez-moi ici, le plus possible.

― Vous serez près d’elle.

— Et près de vous.

— Il ne faut plus que vous la voyiez avant son mariage.