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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/316

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fort comme la mort

n’y comprends rien. C’est aux Gobelins, presque hors de Paris ! Du moins, le cocher de fiacre, qui l’a ramené, m’a affirmé l’avoir pris dans une pharmacie de ce quartier-là, où on l’avait porté, à neuf heures du soir !

Puis se penchant vers Olivier :

— Est-ce vrai que l’accident a eu lieu près des Gobelins ?

Bertin ferma les yeux, comme pour se souvenir, puis murmura :

— Je ne sais pas.·

— Mais où alliez-vous ?

— Je ne me rappelle plus. J’allais devant moi.

Un gémissement qu’elle ne put retenir sortit des lèvres de la comtesse ; puis, après une suffocation qui la laissa quelques secondes sans haleine, elle tira son mouchoir de sa poche, s’en couvrit les yeux et se mit à pleurer affreusement.

Elle savait ; elle devinait ! Quelque chose d’intolérable, d’accablant, venait de tomber sur son cœur : le remords de n’avoir pas gardé Olivier chez elle, de l’avoir chassé, jeté à la rue où il avait roulé, ivre de chagrin, sous cette voiture.

Il lui dit de cette voix sans timbre qu’il avait à présent :

— Ne pleurez pas. Ça me déchire.

Par une tension formidable de volonté, elle cessa de sangloter, découvrit ses yeux et les tint sur lui tout grands, sans qu’une crispation remuât son visage, où des larmes continuaient, à couler, lentement.

Ils se regardaient, immobiles tous deux, les mains unies sur le drap du lit. Ils se regardaient, ne sachant plus qu’il y avait là d’autres personnes, et leur regard portait d’un cœur à l’autre une émotion surhumaine.

C’était entre eux, rapide, muette et terrible, l’évoca-