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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/323

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fort comme la mort

― Taisez-vous… mon Dieu ! Taisez-vous…

Il semblait songer, plutôt que lui parler.

— Ah ! celui qui a inventé cette existence et fait les hommes a été bien aveugle, ou bien méchant…

— Olivier, je vous en supplie… Si vous m’avez jamais aimée, taisez-vous… ne parlez plus ainsi.

Il la contempla, penchée sur lui, si livide elle-même qu’elle avait l’air aussi d’une mourante, et il se tut.

Elle s’assit alors sur le fauteuil, tout contre sa couche, et reprit sa main étendue sur le drap.

— Maintenant, je vous défends de parler, dit-elle. Ne remuez plus, et pensez à moi comme je pense à vous.

Ils recommencèrent à se regarder, immobiles, joints l’un à l’autre par le contact brûlant de leurs chairs. Elle serrait, par petites secousses, cette main fiévreuse qu’elle tenait, et il répondait à ces appels en fermant un peu les doigts. Chacune de ces pressions leur disait quelque chose, évoquait une parcelle de leur passé fini, remuait dans leur mémoire les souvenirs stagnants de leur tendresse. Chacune d’elles était une question secrète, chacune d’elles était une réponse mystérieuse, tristes questions et tristes réponses, ces « vous en souvient-il ? » d’un vieil amour.

Leurs esprits, en ce rendez-vous d’agonie, qui serait peut-être le dernier, remontaient à travers les ans toute l’histoire de leur passion ; et on n’entendait plus dans la chambre que le crépitement du feu.

Il dit tout à coup, comme au sortir d’un rêve, avec un sursaut de terreur :

— Vos lettres !

Elle demanda :

— Quoi ? mes lettres ?

— J’aurais pu mourir sans les avoir détruites.