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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/41

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fort comme la mort

une saveur nouvelle, éveillait en elle une joie mystérieuse. Quand elle entendait parler de lui, son cœur battait un peu plus vite, et elle avait envie de dire, — une de ces envies qui ne vont jamais jusqu’aux lèvres — : « Il est amoureux de moi. » Elle était contente quand on vantait son talent, et plus encore peut-être quand on le trouvait beau. Quand elle pensait à lui, toute seule, sans indiscrets pour la troubler, elle s’imaginait vraiment s’être fait là un bon ami, qui se contenterait toujours d’une cordiale poignée de main.

Lui, souvent, au milieu de la séance, posait brusquement la palette sur son escabeau, allait prendre en ses bras la petite Annette, et tendrement l’embrassait sur les yeux ou dans les cheveux, en regardant la mère comme pour dire : « C’est vous, ce n’est pas l’enfant que j’embrasse ainsi. »

De temps en temps, d’ailleurs, Mme de Guilleroy n’amenait plus sa fille, et venait seule. Ces jours-là on ne travaillait guère, on causait davantage.

Elle fut en retard un après-midi. Il faisait froid. C’était à la fin de février. Olivier était rentré de bonne heure, comme il faisait maintenant, chaque fois qu’elle devait venir, car il espérait toujours qu’elle arriverait en avance. En l’attendant, il marchait de long en large et il fumait, et il se demandait, surpris de se poser cette question pour la centième fois depuis huit jours : « Est-ce que je suis amoureux ? » Il n’en savait rien, ne l’ayant pas encore été vraiment. Il avait eu des caprices. très vifs, même assez longs, sans les prendre jamais pour de l’amour. Aujourd’hui il s’étonnait de ce qu’il sentait en lui.

L’aimait-il ? Certes, il la désirait à peine, n’ayant