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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/42

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fort comme la mort

pas réfléchi à la possibilité d’une possession. Jusqu’ici, dès qu’une femme lui avait plu, le désir l’avait aussitôt envahi, lui faisant tendre les mains vers elle, comme pour cueillir un fruit, sans que sa pensée intime eût été jamais profondément troublée par son absence ou par sa présence.

Le désir de celle-ci l’avait à peine effleuré, et semblait blotti, caché derrière un autre sentiment plus puissant, encore obscur et à peine éveillé. Olivier avait cru que l’amour commençait par des rêveries, par des exaltations poétiques. Ce qu’il éprouvait, au contraire, lui paraissait provenir d’une émotion indéfinissable, bien plus physique que morale. Il était nerveux, vibrant, inquiet, comme lorsqu’une maladie germe en nous. Rien de douloureux cependant ne se mêlait à cette fièvre du sang qui agitait aussi sa pensée par contagion. Il n’ignorait pas que ce trouble venait de Mme de Guilleroy, du souvenir qu’elle lui laissait et de l’attente de son retour. Il ne se sentait pas jeté vers elle par un élan de tout son être, mais il la sentait toujours présente en lui, comme si elle ne l’eût pas quitté : elle lui abandonnait quelque chose d’elle en s’en allant, quelque chose de subtil et d’inexprimable. Quoi ? Était-ce de l’amour ? Maintenant, il descendait en son propre cœur pour voir et pour comprendre. Il la trouvait charmante, mais elle ne répondait pas au type de la femme idéale que son espoir aveugle avait créé. Quiconque appelle l’amour a prévu les qualités morales et les dons physiques de celle qui le séduira ; et Mme de Guilleroy, bien qu’elle lui plût infiniment, ne lui paraissait pas être celle-là.

Mais pourquoi l’occupait-elle ainsi, plus que les autres, d’une façon différente, incessante ?