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fort comme la mort

tience, et le tapis de l’escalier était le plus doux que ses pieds eussent jamais pressé.

Cependant Bertin devenait sombre, un peu nerveux, souvent irritable.

Il avait des impatiences aussitôt comprimées, mais fréquentes.

Un jour, comme elle venait d’entrer, il s’assit à côté d’elle, au lieu de se mettre à peindre, et il lui dit :

— Madame, vous ne pouvez ignorer maintenant que ce n’est pas une plaisanterie, et que je vous aime follement.

Troublée par ce début, et voyant venir la crise redoutée, elle essaya de l’arrêter, mais il ne l’écoutait plus. L’émotion débordait de son cœur, et elle dut l’entendre, pâle, tremblante, anxieuse. Il parla longtemps sans rien demander, avec tendresse, avec tristesse, avec une résignation désolée ; et elle se laissa prendre les mains qu’il conserva dans les siennes. Il s’était agenouillé sans qu’elle y prit garde, et avec un regard d’halluciné il la suppliait de ne pas lui faire de mal ! Quel mal ? Elle ne comprenait pas et n’essayait pas de comprendre, engourdie dans un chagrin cruel de le voir souffrir, et ce chagrin était presque du bonheur. Tout à coup, elle vit des larmes dans ses yeux et fut tellement émue, qu’elle fit : « Oh ! » prête à l’embrasser comme on embrasse les enfants qui pleurent. Il répétait d’une voix très douce : « Tenez, tenez, je souffre trop », et tout à coup, gagnée par cette douleur, par la contagion des larmes, elle sanglota, les nerfs affolés, les bras frémissants, prêts à s’ouvrir.

Quand elle se sentit tout à coup enlacée par lui et baisée passionnément sur les lèvres, elle voulut crier, lutter, le repousser, mais elle se jugea perdue tout de