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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/57

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fort comme la mort

Quand ils se saluèrent en se séparant, ils se croyaient assurément plus loin l’un de l’autre que le jour où ils s’étaient rencontrés chez la duchesse de Mortemain.

Dès qu’elle fut partie, il prit son chapeau et son pardessus et sortit. Un soleil froid, dans un ciel bleu ouaté de brume, jetait sur la ville une lumière pâle, un peu fausse et triste.

Lorsqu’il eut marché quelque temps, d’un pas rapide et irrité, en heurtant les passants, pour ne point dévier de la ligne droite, sa grande fureur contre elle s’émietta en désolations et en regrets. Après qu’il se fut répété tous les reproches qu’il lui faisait, il se souvint, en voyant passer d’autres femmes, combien elle était jolie et séduisante. Comme tant d’autres qui ne l’avouent point, il avait toujours attendu l’impossible rencontre, l’affection rare, unique, poétique et passionnée, dont le rêve plane sur nos cœurs. N’avait-il pas failli trouver cela ? N’était-ce pas elle qui lui aurait donné ce presque impossible bonheur ? Pourquoi donc est-ce que rien ne se réalise ? Pourquoi ne peut-on rien saisir de ce qu’on poursuit, ou n’en atteint-on que des parcelles, qui rendent plus douloureuse cette chasse aux déceptions ?

Il n’en voulait plus à la jeune femme, mais à la vie elle-même. Maintenant qu’il raisonnait, pourquoi lui en aurait-il voulu à elle ? Que pouvait-il lui reprocher, après tout ? — d’avoir été aimable, bonne et gracieuse pour lui — tandis qu’elle pouvait lui reprocher, elle, de s’être conduit comme un malfaiteur !

Il rentra plein de tristesse. Il aurait voulu lui demander pardon, se dévouer pour elle, faire oublier, et il chercha ce qu’il pourrait tenter pour qu’elle com-