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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/58

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fort comme la mort

prît combien il serait, jusqu’à la mort, docile désormais à toutes ses volontés.

Or, le lendemain, elle arriva accompagnée de sa fille, avec un sourire si morne, avec un air si chagrin, que le peintre crut voir dans ces pauvres yeux bleus, jusque-là si gais, toute la peine, tout le remords, toute la désolation de ce cœur de femme. Il fut remué de pitié et, pour qu’elle oubliât, il eut pour elle, avec une délicate réserve, les plus fines prévenances. Elle y répondit avec douceur, avec bonté, avec l’attitude lasse et brisée d’une femme qui souffre.

Et lui, en la regardant, repris d’une folle idée de l’aimer et d’être aimé, il se demandait comment elle n’était pas plus fâchée, comment elle pouvait revenir encore, l’écouter et lui répondre, avec ce souvenir entre eux.

Du moment qu’elle pouvait le revoir, entendre sa voix et supporter en face de lui la pensée unique qui ne devait pas la quitter, c’est qu’alors cette pensée ne lui était pas devenue intolérable. Quand une femme hait l’homme qui l’a violée, elle ne peut plus se trouver devant lui sans que cette haine éclate. Mais cet homme ne peut non plus lui demeurer indifférent. Il faut qu’elle le déteste ou qu’elle lui pardonne. Et quand elle pardonne cela, elle n’est pas loin d’aimer.

Tout en peignant avec lenteur, il raisonnait par petits arguments précis, clairs et sûrs ; il se sentait lucide, fort, maître à présent des événements.

Il n’avait qu’à être prudent, qu’à être patient, qu’à être dévoué, et il la reprendrait, un jour ou l’autre.

Il sut attendre. Pour la rassurer et la reconquérir, il eut des ruses à son tour, des tendresses dissimulées sous d’apparents remords, des attentions hésitantes et