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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/77

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fort comme la mort

Voyons, Bertin, vous qui êtes artiste, qu’en pensez vous ?

— Mon Dieu, Madame, je suis peintre, je drape, ça m’est égal ! Si j’étais sculpteur, je me plaindrais.

— Mais vous êtes homme, que préférez-vous ?

— Moi ?… une… élégance un peu nourrie, ce que ma cuisinière appelle un bon petit poulet de grain. Il n’est pas gras, il est plein et fin.

La comparaison fit rire ; mais la comtesse incrédule regardait sa fille et murmurait :

— Non, c’est très gentil d’être maigre, les femmes qui restent maigres ne vieillissent pas.

Ce point-là fut encore discuté et partagea la société. Tout le monde, cependant, se trouva à peu près d’accord sur ceci qu’une personne très grasse ne devait pas maigrir trop vite.

Cette observation donna lieu à une revue des femmes connues dans le monde et à de nouvelles constatations sur leur grâce, leur chic et leur beauté. Musadieu jugeait la blonde marquise de Lochrist incomparablement charmante, tandis que Bertin estimait Mme Mandelière, brune, avec son front bas, ses yeux sombres et sa bouche un peu grande, où ses dents semblaient luire.

Il était assis à côté de la jeune fille, et, tout à coup, se tournant vers elle :

— Écoute bien, Nanette. Tout ce que nous disons là, tu l’entendras répéter au moins une fois par semaine, jusqu’à ce que tu sois vieille. En huit jours tu sauras par cœur tout ce qu’on pense dans le monde, sur la politique, les femmes, les pièces de théâtre et le reste. Il n’y aura qu’à changer les noms des gens ou les titres des œuvres de temps en temps. Quand tu