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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/96

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fort comme la mort

filèrent vers les Invalides, traversèrent la Seine et gagnèrent l’avenue des Champs-Élysées, en montant vers l’Arc de Triomphe de l’Étoile, au milieu d’un flot de voitures.

La jeune fille s’était assise, près d’Olivier, à reculons, et elle ouvrait sur ce fleuve d’équipages, des yeux avides et naïfs. De temps en temps, quand la duchesse et la comtesse accueillaient un salut d’un court mouvement de tête, elle demandait : « Qui est-ce ? » Il nommait « les Pontaiglin », ou « les Puicelci », ou « la comtesse de Lochrist », ou « la belle Mme Mandelière ».

On suivait à présent l’avenue du Bois de Boulogne, au milieu du bruit et de l’agitation des roues. Les équipages, un peu moins serrés qu’avant l’Arc de Triomphe, semblaient lutter dans une course sans fin. Les fiacres, les landaus lourds, les huit-ressorts solennels se dépassaient tour à tour, distancés soudain par une victoria rapide, attelée d’un seul trotteur, emportant avec une vitesse folle, à travers toute cette foule roulante, bourgeoise ou aristocrate, à travers tous les mondes, toutes les classes, toutes les hiérarchies, une femme jeune, indolente, dont la toilette claire et hardie jetait aux voitures qu’elle frôlait un étrange parfum de fleur inconnue.

— Cette dame-là, qui est-ce ? demandait Annette.

— Je ne sais pas, répondait Bertin, tandis que la duchesse et la comtesse échangeaient un sourire.

Les feuilles poussaient, les rossignols familiers de ce jardin parisien chantaient déjà dans la jeune verdure, et quand on eut pris la file au pas, en approchant du lac, ce fut, de voiture à voiture, un échange incessant de saluts, de sourires et de paroles aimables, lorsque