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TANTE GERTRUDE

notre aise !… » Et elle est sortie de la salle sans même me regarder. Comme vous le savez, elle n’est pas descendue pour le dîner, prétextant des lettres pressées à écrire… Voilà tout !

— Oui, c’est vraiment bien étrange, murmura Thérèse.

— Vous n’avez pas vu Jean, lorsqu’il est venu hier ? interrogea Paule avec anxiété.

— Je l’ai aperçu seulement comme il quittait le vestibule. Il marchait très vite, la tête baissée, et semblait fort préoccupé. Voyons, ma chérie, continua Thérèse tendrement, il faut prendre courage. En attendant, venez vous faire belle pour recevoir le comte de Ponthieu.

— Me faire belle pour un autre que Jean ! Oh ! non ! — et la jeune femme secoua la tête d’un air de défi. Il me fait horreur, ce Ponthieu ! Rien que la pensée de le supposer de connivence avec ma tante pour comploter contre notre bonheur me le fait détester ! Je voudrais être laide ! laide à faire peur, pour me présenter devant lui ! Voyez, j’ai mis la toilette qui me va le plus mal, ma robe noire des mauvais jours, et j’ai arrangé mes cheveux de façon à être aussi vilaine que possible.

Pauvre Paulette ! elle n’avait guère réussi à s’enlaidir, pensait Thérèse, comme elle examinait, sans pouvoir s’empêcher de l’admirer, la jolie tête nimbée d’or, le visage aux traits si fins, si délicats, la bouche tendre, les prunelles éblouissantes dans leur bleu azuré, le teint éclatant de fraîcheur, que faisait valoir encore le sombre de la robe noire. La coupe simple et sévère de cette toilette que Thérèse lui avait taillée dans un de ses anciens costumes de deuil faisait ressortir admirablement le buste souple, la taille mince et élégante de la jeune femme ; la traîne la faisait paraître plus grande et ajoutait encore à sa démarche naturellement distinguée. Jamais Paulette n’avait semblé plus belle à Thérèse, qui déclara en souriant affectueusement :

— J’ai bien peur que M. de Ponthieu ne vous trouve pas trop laide, ma chérie. Vous feriez une bien jolie comtesse !

— Oh ! Thérèse, ne parlez pas ainsi !