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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/155

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TANTE GERTRUDE

Et les yeux bleus de la jeune femme prirent soudain une telle expression de souffrance que son amie en fut bouleversée.

— Pardon, ma chérie, pour cette innocente plaisanterie, je ne croyais pas vous faire de la peine, dit-elle vivement. Allons, je dois vous quitter pour retourner à mes occupations habituelles ; soyez calme et forte. Il est onze heures ; M. de Ponthieu ne tardera pas à arriver. À bientôt ! du courage.

Thérèse se retira après avoir embrassé tendrement Mme Wanel, dont la tristesse et l’air découragé lui faisaient mal à voir.

Restée seule, Paule retomba dans les sombres pensées auxquelles elle était en proie depuis la veille au soir. La nouvelle du départ de son fiancé que Thérèse avait apprise par la vieille Zoé en passant devant l’Abbaye et qu’elle venait de lui annoncer, ajoutait encore aux tristes pressentiments qui l’accablaient. Malgré l’assurance de Jean, elle avait peur de ne jamais plus le revoir… Cette visite inopinée du comte de Ponthieu l’intriguait et l’inquiétait tout à la fois… Elle sentait la main de sa tante dans ce retour aussi étrange qu’inattendu. Sans doute, la vieille fille avait renoncé à lui faire épouser M. Le Saunier, mais elle ne désarmait pas et espérait avoir plus de succès avec son ancien compagnon d’enfance… Qu’avait-elle dit à Jean Bernard ? Avec quelles insultes l’avait-elle chassé de Neufmoulins ? Où s’était arrêté le torrent d’outrages dont elle l’avait sans doute accablé ? Paule connaissait assez la nature emportée de sa parente pour se douter de ce qui avait dû se passer. Jean, toujours délicat, n’avait pas voulu lui en dire un mot pour lui éviter une nouvelle peine, un nouveau chagrin, mais elle ne devinait que trop la scène pénible et douloureuse, les affronts subis par le jeune homme. Pour la centième fois la même question lui martelait la tête :

— Que s’était-il passé ?

Lorsqu’il l’avait quittée pour se rendre à l’ordre intimé par la châtelaine de venir lui parler, sur l’heure, il était prêt à se sacrifier, à broyer son propre cœur, à renoncer à elle… Il l’avait suppliée