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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/65

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TANTE GERTRUDE

peux venir m’embrasser si l’envie t’en prend, même lorsque je suis dans les paperasses, mais que je n’aperçoive pas le joli museau de ton amoureux dans l’embrasure de la porte, car alors, je me calfeutre sans rémission pour toi comme pour les autres. C’est bien assez de le voir à d’autres moments !

Pour retenir son régisseur à dîner, Mlle Gertrude avait prétexté que sa nièce, les dérangeant maintes fois dans leurs comptes, leur faisait perdre beaucoup de temps et qu’ils pourraient travailler encore dans la soirée. Mais, presque toujours, elle se trouvait ensuite trop fatiguée et demandait à Jean, qui n’osait refuser, de faire le mort dans une partie de whist avec elle et Thérèse.

Paule, aussi à l’aise que chez elle, restait à dîner les jours où elle n’attendait personne ; elle invitait même sans cérémonie M. de Lanchères à en faire autant, lorsqu’il se trouvait là. Puis, comme elle ne passait guère une soirée sans aller dans quelque réunion mondaine, le repas fini, elle partait bien vite, laissant derrière elle un parfum de jeunesse, un rayon de gaieté.

Le jeune régisseur éprouvait un charme étrange à se sentir dans ce milieu familial. Sans se départir de la réserve convenant à sa situation, il sortait quelquefois de cette gravité un peu triste, de cette froideur un peu hautaine qui en imposait à tous ceux qui l’approchaient. Causeur érudit et spirituel, il savait intéresser ; aussi avait-il surpris plus d’une fois les grands yeux clairs de Paule posés sur lui, tandis qu’elle l’écoutait attentivement.

Mlle Gertrude, avec son esprit sarcastique, donnait souvent la réplique au jeune régisseur et la conversation ne chômait pas ; la châtelaine était heureuse d’avoir un interlocuteur aussi disert.

Les jours où Mme Wanel n’avait pu venir dans l’après-midi, elle arrivait le soir, dans son coupé luxueux, capitonné de satin rose, et ne restait que quelques minutes, le temps d’embrasser sa tante et de se faire admirer, comme elle disait en riant, de son beau rire candide.

Jean Bernard était là le plus souvent, et le malheureux, ébloui par la radieuse apparition, ne