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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/64

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TANTE GERTRUDE

Mais elle resta surprise et interdite devant l’air irrité du régisseur.

— Petite sotte ! gronda-t-il en la repoussant avec une brusquerie inaccoutumée. Que je ne t’entende plus dire de pareilles choses !

Un court silence s’ensuivit.

— Vous fâchez pas, maman Jean, murmura alors la petite d’une voix câline, en embrassant son frère sur ses cheveux noirs, Mad ne le fera plus !

Puis, redevenue gaie et insouciante, elle se sauva en courant, lui envoyant des baisers du bout des doigts, jusqu’à ce qu’elle fût sortie de la maison.

Mais le jeune homme, que la réflexion de la fillette avait profondément troublé, resta longtemps pensif après son départ. Et l’image de Paule qui le poursuivait partout, lui revint avec une nouvelle force.

Il était bien obligé de s’avouer à lui-même que c’était la présence de Mme Wanel qui lui avait fait paraître le temps si court. Le charme irrésistible qu’elle exerçait sur lui avait grandi de jour en jour et il l’aimait de toute l’ardeur de son cœur vierge. Tout en déplorant les allures excentriques de Paule, sa coquetterie effrénée, sa vie mondaine et frivole, il ne pouvait s’empêcher de l’excuser. Ce qui l’eût effroyablement choqué dans toute autre lui semblait chez elle de simples travers bien dignes d’indulgence.

Mlle de Neufmoulins avait changé ses heures de travail avec son régisseur. Trouvant qu’il lui était moins commode de travailler dans la matinée, elle lui avait dit de venir désormais la rejoindre dans son cabinet chaque jour, vers la fin de l’après-midi. C’était le moment où Mme Wanel — dont l’intimité avec sa tante paraissait avoir singulièrement augmenté ces derniers temps — arrivait au château pour faire sa visite quotidienne à Mlle Gertrude. Celle-ci, qui ne permettait pas à Thérèse d’entrer dans son bureau lorsqu’elle travaillait avec Jean Bernard, laissait sa nièce libre d’aller et venir à sa guise, tout en la morigénant selon son habitude. M. de Lanchères, qui accompagnait sa fiancée, ne jouissait pas des mêmes privilèges.

— Tu sais, ma petite, disait la vieille fille, tu