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TANTE GERTRUDE

la Paulette de ses rêves, l’être idéal qu’il se plaisait à parer de toutes les pudeurs féminines… Il oublia Jean Bernard et n’eut qu’une pensée : Paule était libre, il la conquerrait ! Il arriverait à force d’amour et de tendresse à faire d’elle une comtesse de Ponthieu, dont sa mère là-haut serait fière…

— Dites-donc, monsieur Bernard, ne pourriez-vous nous fermer cette porte ? Il vient un vent du diable par là, et je sens ma névralgie qui recommence à me taquiner. Paulette, tu ferais bien de rentrer, il ne doit pas être bien sain de rester là dehors, malgré le joli clair de lune, après une baignade comme celle de tout à l’heure.

Le ton bref et moqueur de Mlle de Neufmoulins rappela cruellement Jean Bernard à la réalité. Il tressaillit comme un homme réveillé en sursaut.

— On y va, tante Gertrude, on y va, répondit gaiement Paulette en s’emmitouflant dans la grande robe de chambre et en se dirigeant vers le salon, tout en faisant à l’adresse de sa tante un de ces gestes gamins qui lui étaient habituels.

Puis, rentrée dans la pièce, elle se montra d’une gaieté étourdissante ; elle eut de ces réparties drôles, de ces saillies d’esprit qui faisaient rire les plus moroses.

— C’est égal, ma petite, déclara Mlle Gertrude à un moment donné, on peut dire que tu prends ta ruine gaiement.

— Bah ! ma tante, j’ai confiance en ma bonne étoile ! J’espère bien ne pas rester pauvre longtemps. Je dénicherai un de ces quatre matins un brave homme comme M. Wanel qui, séduit par mes beaux yeux, sera très flatté de déposer à mes pieds son cœur et son coffre-fort. Mais il faudra que ce dernier soit bien garni, car je veux être très riche, très riche : c’est si bon l’argent !

Jean Bernard ne dormit guère cette nuit-là ; il était hanté par le son de cette voix harmonieuse qui savait se faire si douce et si tendre… Mais l’éternel refrain qu’elle répétait lui martelait les oreilles avec une ironie cruelle : Je veux être riche. C’est si bon l’argent !… Son beau rêve s’évanouissait peu à peu… l’idole, roulant de son piédestal, gisait, brisée à ses pieds…