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TANTE GERTRUDE


CHAPITRE VIII


— Madame, la couturière est encore venue avec sa note, et elle a dit que si elle n’était pas payée d’ici trois jours, elle ferait assigner Madame.

Paule, qui venait de rentrer, regarda la bonne d’un air étonné. La jeune femme, vêtue d’un élégant costume de surah crème, coiffée d’une grande bergère garnie de pâquerettes, était plus ravissante que jamais.

— Mais je ne comprends pas pourquoi cette couturière me persécute de la sorte, remarqua-t-elle. Voilà à peine six mois qu’elle m’a livré toutes ces toilettes ! Auparavant, je ne recevais ses notes qu’au bout de l’année, parfois même plus tard encore.

— Tiens ! c’est pas malin ! répondit grossièrement la bonne. Elle sait bien, cette femme, que Madame n’a pas fort belle réputation en ville ; tout le monde dit qu’elle n’a pas le sou et qu’elle doit plus lourd qu’elle ne pèse ! Je profiterai de l’occasion pour dire à Madame qu’elle va me devoir trois mois et qu’elle pourra chercher une autre bonne, car c’est insupportable d’être toujours comme ça obligée de réclamer ses gages !

Mme Wanel pâlit sous l’insulte ; une expression douloureuse passa dans ses grands yeux navrés, qui se remplirent de larmes.

— C’est bien, Charlotte, murmura-t-elle d’une voix basse et un peu tremblante, je vous paierai cette après-midi.

Puis, d’un pas chancelant, elle monta l’escalier et courut se réfugier dans sa chambre. Lorsqu’elle eut refermé sa porte, sûre enfin d’être seule, elle donna libre cours aux pleurs qu’elle avait eu tant de peine à retenir devant la servante, étouffant ses sanglots dans son petit mouchoir de batiste brodé.

Quelle misère que cette vie d’expédients qui avait été la sienne depuis six mois ! Que d’affronts