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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/90

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TANTE GERTRUDE

notre vieille maîtresse, si peu tendre d’ordinaire ?

— Qu’importe ! il le faut. Priez Dieu, mademoiselle Thérèse, pour que je réussisse dans ma mission délicate.

L’orpheline leva un regard ému sur le régisseur. Il lui parut plus beau que jamais avec son visage fier, aux traits un peu sévères, ses yeux noirs rayonnant d’énergie, tandis qu’il lui souriait. La jeune fille sentait que Paulette avait en Jean Bernard un avocat tout dévoué, et elle éprouvait pour lui une vive reconnaissance, en même temps qu’une admiration profonde.

— Espérons ! répéta le jeune homme en reconduisant l’orpheline et en lui serrant la main.

L’entrevue fut longue entre Jean Bernard et Mlle de Neufmoulins ; elle dut être orageuse aussi, à en juger par les éclats de voix qui parvenaient de temps en temps aux oreilles de Thérèse, comme elle travaillait seule dans la petite pièce où elle se tenait habituellement, et qui n’était pas bien éloignée du bureau de la châtelaine ; elle tressaillait anxieusement au moindre bruit, s’attendant d’un moment à l’autre à une de ces scènes violentes dont elle avait déjà été plusieurs fois le témoin depuis son entrée au château.

Mais peu à peu le calme se fit, Jean Bernard resta enfermé avec Mlle Gertrude une partie de l’après-midi : que trouva-t-il à lui dire ? Parvint-il à l’émouvoir ? Dut-il s’en tenir à lui faire comprendre l’impossibilité pour elle de laisser saisir sa nièce pour dettes ?… Nul ne le sut jamais. En tout cas, lorsqu’il se retira, la cause de Mme Wanel était gagnée ; sa tante paierait tout ce qu’elle devait et la prendrait avec elle au château.

Après le départ du régisseur, Mlle de Neufmoulins, les yeux rouges et la gorge serrée, resta longtemps à contempler un portrait, le même qu’elle regardait souvent et qu’elle rangeait avec un soin jaloux, comme une relique, au fond d’un tiroir secret.

Quand elle sortit de sa rêverie, ce fut pour revêtir le vieux châle qu’elle portait depuis au moins vingt ans et qui était devenu légendaire dans Ailly. Tout en nouant les brides de sa coiffure de crêpe,