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Page:Picard - Sabbat, 1923.djvu/193

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SABBAT

est le miracle impondérable. Il tombe où il faut, quand il faut.

— Merci. Mais je passe pour toquée.

— Il n’est que la divine incohérence des poètes : ce qu’ils disent est insensé et plein de désordre, et, pourtant, sous leur regard insaisissable, ils groupent l’harmonie de tous les temps, et le trépied où divagua la sibylle voit s’avancer, religieusement, vers lui, quand la foule s’est écoulée, la Sagesse aux tablettes d’airain.

Pêle-mêle, les poètes jettent la récolte. Ceux qui les lisent, dégagent les grains, et, dans chaque gerbe que lia le moissonneur ingénu, bat déjà le cœur du boisseau.

— M’expliqueras-tu, encore, par quel miracle je crois que mon âme et mon corps n’ont aucune souillure ? J’ai, pourtant, parfois — comme malgré moi, il est vrai — fait traîner mon rêve dans les pauvres bouges du plaisir, mais, soudain, mes ailes claquaient à la porte et m’emportaient. C’est triste, l’étreinte charnelle. Chaque fois, il me semble qu’on assassine un dieu, qu’on ensevelit un ange dans sa robe légère, qu’on plante un méchant couteau dans une gorge pure, que, dans les couches voluptueuses, nous fermons les yeux à l’une de nos suaves amours. Et ce qui vient nous secourir — ô grâce, ô mystère ! — c’est le bluet ou le pinson d’un de nos contes enfantins.

Ainsi, je sens que je peux blasphémer, haïr, tuer même, abattre le Temple qui ou-