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SABBAT

— Oui… le sommet moral du monde lyrique… Je le pressens. Je l’atteindrai, peut-être… Mais l’expression serrée et flamboyante comme le marteau qu’on abat dans la forge… la Victoire sobre et pure que drape son vol blanc… l’aigle planté, par ses mille ongles de rubis, au cœur du rêve et en révélant, par le battement d’aile harmonieux, le sens infini… l’impossible versé dans une coupe et offert à la soif humaine ?… Hélas ! ce que je veux enfanter ainsi qu’une louve perdue dans le désert des étoiles n’est, sur mes joues, que du silence mouillé… Et le Génie n’a laissé, dans mon âme, que le parfum de ses brasiers et son… adieu.

— Eh ! crois-tu que ton désir n’anime pas le Désir, que ton tourment n’alimente pas la Fournaise sacrée ? Les poètes, vous êtes solidaires, et, parfois, miraculeusement, le soupir qui tremble sur la lèvre de l’un de vous suffit à provoquer la tempête dans la poitrine d’un autre. Tes larmes que tu crois vaines arrosent célestement les prés d’un de tes frères, et tu ne sais pas à quel point la fleur, il te la doit, à toi qui as pleuré.

Vous êtes ensemble une grande patrie vibrante, les poètes, et que le divin Voyageur s’avance ici ou là, qu’importe ! Tous les échos, à ses pas mystérieux, se réveillent et se jettent mutuellement ce cri qui est la récompense du soleil vivant : « Il a passé ! Il a passé ! »

— Fraternité des âmes éblouies !… Et,