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SABBAT

pourtant, ne vivons les chansons de personne si nous ne voulons pas tuer, en nous, la Chanson éternelle. Je n’ai jamais marché hors de moi-même, sans moi-même. Une merveilleuse simplicité m’a toujours environnée d’orgueil. « Je suis… ai-je dit, à toute heure de mon existence… L’universelle harmonie m’agrée et m’enrôle… » Forte de cette pensée, j’ai vécu, mon absolu cloué à l’âme comme un soleil.

Après ? Tant pis.

— Va, poète, va… L’allégresse est avec toi… Va…

— La tristesse me semble une infirmité, une flétrissure. Chez les poètes, n’est-elle pas inconcevable ? Il n’est pas possible que les Initiés, maudits ou bienheureux, ne soient pas des tempêtes de joie et d’avidité, et nous, et nous, langue de la gueule du Miracle, dragon dansant et flamboyant, nous nous plaindrions ! Il n’est pas possible que les vivants du lyrisme se sentent porter en eux leur décomposition future et traîner leur squelette comme un témoin sans yeux qui regarde le néant. Ce n’est pas vrai ! Notre tombe, nous, les poètes, nous la couvrirons de roses et la parerons de l’urne voilée, mais nous ne l’admettrons pas, et nos cercueils, nous nous verrons toujours les soulevant, pour les lancer dans le chaos du chaos, sur nos épaules pleines d’étoiles.

— Émouvante fresque ! Mais le poète ne sait jamais si le symbole monte vers la Divi-