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Page:Picard - Sabbat, 1923.djvu/64

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SABBAT

chargée du pire, et j’ai été punie, pour mon héroïsme, comme la prostituée pour le sien, car les hommes ne font pas de différence entre les sourires…

Et comme l’amour m’a dit : « Va-t’en !… » Et quel accent de réprobation il avait ! Ai-je, à mon insu, méprisé son corps ou versé, dans son âme, un boisseau d’étoiles ? Je ne sais pas… Je ne sais jamais ce qui sort de moi, l’eau lustrale ou le philtre mortel et si mes ailes ne sont pas en forme de glaives…

Mais le soir où, légère, chantante, limpide, musicale, j’ai répandu des roses sur notre couche, mon amant et moi nous devînmes sombres comme une nuit d’expiation et nous n’avons que soupiré et gardé le silence dans les fleurs.

Que je suis coupable ! On ne cesse pas de m’accuser. Et quand je montre mes mains vaillantes, mon regard fier, ma solitude pure, quand je dis de quoi j’ai été capable dans le renoncement, l’implacable discipline, le sacrifice plus exaspéré qu’un suicide, quand j’avoue, prise de passagère faiblesse, que je vis sans caresses, dépouillée, par ma volonté, du plaisir, privée, par mon commandement, de tout festin terrestre, quand je raconte : « Je gagne mon pain, je prie, je suis douce tant que je peux, bonne au-delà de moi-même, et — suprême magnificence ! — malgré moi--