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Page:Plaute, Térence, Sénèque - Théâtre complet, Nisard.djvu/53

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AMPHITRYON.

près du chagrin dont elle abonde ! Tel est le sort des humains, telle est la volonté des dieux, que la douleur doit toujours se trouver auprès du plaisir, et le suivre ; et il y a plus de mal, plus de peine, pour celui à qui il vient d’arriver quelque bonheur. Je le sais par moi-même ; je viens d’en faire l’expérience, moi qui ai joui de quelques instants de plaisir, en me retrouvant près de mon époux, une nuit, une seule nuit, et qui l’ai vu me quitter tout d’un coup avant le jour. Il me semble être seule au monde, à présent que je suis éloignée du seul homme que j’aime. Son départ m’a fait plus de peine que son arrivée ne m’avait causé de joie. Mais au moins ce qui me rend heureuse, c’est qu’il a vaincu les ennemis ; c’est qu’il rentre dans sa maison couvert de gloire ; c’est là une consolation. Qu’il parte, pourvu qu’il revienne glorieux et triomphant ; je supporterai son absence avec fermeté, avec courage, si j’obtiens pour récompense qu’il revienne vainqueur. Je n’en veux pas davantage. La valeur est d’un prix inestimable ; elle est préférable à toutes choses. C’est elle qui défend et qui conserve la liberté, la vie, nos biens, nos parents et nos enfants ; celte vertu comprend tout ; aucun bien ne manque à celui qui la possède.

Amph. Oui, je le crois ; ma femme désire de me voir de retour ; j’en suis aimé autant que je l’aime ; et quel plaisir surtout de revenir après un si heureux succès, après avoir vaincu des ennemis qu’on croyait invincibles ! Sous mon commandement et par mes ordres, ils ont été défaits à la première rencontre. Chère Alcmène ! tu m’attends avec impatience, je n’en puis douter.

Sos. Et croyez-vous que ma maîtresse ne désire pas aussi de revoir son cher Sosie ?

Alcm. Que vois-je ? C’est mon époux.

Amph. Suis-moi de ce côté.

Amph. Pourquoi revient-il sur ses pas ? Il était, disait-il, si pressé de partir ! A-t-il dessein de m’éprouver ? Veut-il voir si j’ai, en effet, tant de regret de son départ. Certes, jamais son retour ne peut me causer de peine.

Sos. Amphitryon, nous ferons bien de retourner au vaisseau.

Amph. Pourquoi cela ?

Sos. Parce qu’il n’y aura pas à dîner pour nous aujourd’hui à la maison.

Amph. D’où te vient cette idée ?

Sos. C’est que nous arrivons trop tard.

Amph. Comment cela ?

Sos. Je vois devant la porte Alcmène qui a le ventre[1] plein.

Amph. Je l’ai laissée enceinte, quand je suis parti.

Sos. Ah ! malheureux ! je suis perdu !

Amph. Qu’as-tu donc ?

Sos. À votre compte. J’arrive tout exprès au moment de ses couches pour porter l’eau dont elle aura besoin.

Amph. Ne t’inquiète pas.

Sos. Savez-vous comment je ne m’inquiète pas ? Je gage, si une fois je touche le seau, et si je me mets à l’ouvrage, que je ne pourrai quitter avant d’avoir tiré jusqu’à la dernière goutte du puits. Il faudra que je le mette à sec.

Amph. Suis-moi, te dis-je, et sois tranquille ; je ferai faire celte besogne par un autre.

Alcm., à part. Il est, je crois, de mon devoir d’aller à sa rencontre.

Amph. Amphitryon salue avec joie sa chère et sa tendre épouse, qu’il regarde comme la meilleure des femmes de Thèbes, et dont la vertu est admirée

  1. Saruram, jeu de mots sur qu’Alcmène est grosse ; elle est bien rassasiée, bien remplier ; elle a le ventre plein.