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Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/529

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DE LA PROPRIÉTÉ.

d’obstacle, serait légitime à perpétuité. D’un autre côté, ne soyez frappé que de l’utilité sociale, et vous aurez des révolutions périodiques qui viendront à chaque instant déplacer la borne en écrasant l’individu. Je définirais volontiers, sans m’attacher aux termes, la propriété sociale, l’individualité combinée avec les besoins, les droits et les progrès de l’association. Ce principe peut nous conduire à travers l’histoire.

Lacédémone, après avoir triomphé d’Athènes, porta sur-le-champ la peine de sa victoire impie ; elle reçut dans son sein de l’argent, de l’or : belle récompense pour avoir affligé la cité de Minerve, et s’être montrée la complaisante du grand roi. La constitution de Lycurgue existait encore, mais de nom, mais éludée, mais trahie, quand un Spartiate puissant, appelé Épitadée, ayant eu un différend avec son fils, fut nommé éphore, et fit une loi (ρήτρα) qui permettait à tout citoyen de laisser sa maison et son héritage à qui il voudrait, soit par testament, soit par donation entre-vifs[1]. Alors les riches, en dépouillant de leurs successions leurs héritiers légitimes, resserrèrent de plus en plus le nombre, déjà petit, des propriétaires. Aristote, dans sa Politique, signale ce fait désastreux pour Lacédémone, sans parler expressément, comme Plutarque, d’Épitadée ; mais il y reconnaît la cause des excès de l’olygarchie : διόπες εἰς ὀλίγους ἦϰεν ἡ χὠρα[2]. Deux hommes résolurent de relever la constitution de Lycurgue, et d’appeler les Spartiates à une nouvelle répartition des terres. Agis, esprit généreux, héroïque, roi populaire, ne craignit pas d’engager sa destinée et celle des siens dans une orageuse révolution. Il voulut partager de nouveau le territoire, en raison des progrès de la société lacédémonienne. Quelle est la pensée de son entreprise ? est-ce le mépris de la propriété ? C’est au contraire le désir de la propager et de la répandre. Les lois agraires ont été repré-

  1. Plutarque, Vie d’Agis et de Cléomène, chap. 6.
  2. Aristote, Politique, liv. ii, chap. 10, 55, 6 ; édit. Coray, pag. 53.