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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/225

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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

C’est une épreuve excellente pour les vérités dans lesquelles on a foi, qu’une confrontation sincère avec les propositions qui les contestent. Or le parti du passé a toujours professé que la révolution française n’avait été ni nécessaire ni légitime. Ainsi, sans nécessité, tout un siècle, le dix-huitième, aura rendu possibles et inévitables des changemens éclatans ; sans nécessité un homme d’état, Turgot, aura tenté dans l’état une réforme universelle ; sans nécessité un grand peuple, les Français auront consenti à démolir leur civilisation antique pour vivre quarante-trois ans sous la tente, et se porter l’avant-garde du monde dans la poursuite de destinées nouvelles ! Aveuglement ! illusion ! Mais la nécessité est la maîtresse des choses humaines ; à son geste, tout obéit : tant qu’elle n’a pas parlé, tout demeure immobile : elle proclame ses décrets par les actes du genre humain, et elle dépose l’esprit de ses lois dans les accidens de l’histoire. C’est chez certains esprits le signe d’une cécité déplorable et d’une pitoyable faiblesse que la méconnaissance de la nécessité, les petites colères, les malédictions furibondes vainement opposées aux envahissemens invincibles de ce qui doit être. La nécessité est le langage que Dieu parle à la terre ; c’est le voile transparent à travers lequel il se manifeste aux humains. Et où en serions-nous si nous ne reconnaissions pas à ce qui est nécessaire un caractère sacré ? mais alors pourquoi nos pères ont-ils vécu ? pourquoi vivre nous-mêmes ? En vérité si l’on perd la foi dans la nécessité progressive qui est la vertu impulsive du monde, il faut dépouiller la vie, comme un vêtement inutile. Je consens à trouver isolément les hommes faibles et corrompus, je me résigne au spectacle et au contact des vices et des misères qui entachent leurs qualités et leurs vertus ; mais au moins laissez-moi croire à la dignité et à la fortune de l’humanité, et que les petitesses de chacun me soient rachetées par la grandeur de tous. Or c’est nous insulter et nous calomnier, nous France, nous genre humain, que de nier la nécessité de ce que nous faisons depuis environ un demi-siècle ; c’est nous mettre au ban de l’histoire ; la tête nous a donc tourné : ce n’est pas assez, si nous nous trompons, nous avons été précédés nous-mêmes par une longue suite d’erreurs, et depuis la