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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/166

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sant pour la chair, dans un autre si sévère pour elle, destiné qu’il était à satisfaire une nation sensuelle, en corrigeant les écarts de son imagination et l’excès de ses désirs. Aussi, tandis que la mosquée étale à l’extérieur sa multiplicité superbe, à l’intérieur elle a tout sacrifié à l’adoration austère de l’unité ; et n’est-ce pas une chose remarquable que cette nouvelle conformité entre l’islamisme et le christianisme grec ? Celui-ci avait poussé la terreur et la haine de l’idolâtrie jusqu’à briser les images et même représenter la croix sans le divin crucifié, et celui-là porte au dernier degré l’intolérance des images ; sous leur domination, Constantinople ne perfectionna point la peinture et la sculpture : elle fut surtout architecte. Autre rapprochement ! Constantinople était et demeura une ville de législation, d’histoire, de gouvernement, de religion : des Tribonien et des Papinien aux Khousrec et aux Haleby se perpétua la codification de toutes les lois anciennes ; des historiens de Bysance aux historiographes de Stamboul, la rédaction de volumineuses et célèbres annales ; enfin des Césars de l’empire d’Orient aux sultans de l’empire ottoman, l’union confuse du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Chrétienne ou mahométane, Constantinople a comme une même destinée.

Poursuivons-nous notre promenade ? Peut-être êtes-vous impatient de retourner à la fête pour admirer les yeux bleus des Circassiennes et les yeux noirs des Turques ; — ou bien il vous plairait de boire un narguilé, comme on dit en ce pays, en face du canal, et là, en contemplant tour à tour ce beau spectacle et les nuages de fumée qui s’exhalent de votre bouche, de rêver, au bruissement de l’eau que soulèvent vos aspirations, puis de répéter, avec le bon Turc qui vous sert le café : Mash Allah ! — Vous voudriez prendre un repas à l’orientale chez l’un des restaurateurs nomades campés sur les tombeaux… Pour les peuples du Levant, ce n’est pas profanation : ils n’ont point planté de promenades à cause de leurs mœurs et de leurs coutumes sédentaires ; mais où ils élèvent un tombeau, ils mettent un arbre, et quand ils cherchent l’ombre, ils vont au tombeau ; le tombeau en Occident est triste ; ici, il est également sacré, et il a perdu de l’horreur de la mort : il y a, ce nous semble, quelque chose de religieux dans cette association du souvenir des morts et des joies des vivans. Vous n’êtes