Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
L’ARÉTIN.

l’effet de cette lettre : au reste, j’en suis fâché pour la lettre qui ne manque pas de coloris ni de vérité.

On veut transporter le blessé à Mantoue ; Frédéric de Gonzague, marquis et gouverneur de cette ville, tient pour l’empereur et refuse d’ouvrir ses portes. L’Arétin se présente hardiment, suivi de Jean de Médicis qu’on porte dans une litière. Il représente au marquis que la charité chrétienne et la générosité lui ordonnent de ne pas refuser un asile à ce célèbre capitaine au lit de la mort. En effet, les portes s’ouvrent ; Frédéric de Gonzague rend visite à Médicis. Nous laissons encore parler l’Arétin.

« À peine arrivés, Jean demanda où était son cher Luc Antonio. Nous l’appellerons si vous voulez, lui dis-je. — Non, non, il se bat ; voulez-vous qu’un homme comme lui quitte la mêlée pour venir voir les malades ? — Au moins, reprit-il, si le comte de San Secondo était ici, je lui laisserais ma place. — Puis il se grattait la tête, s’agitait dans son lit, et répétait : — Qu’est-ce que cela deviendra ?… Au moins je n’ai jamais fait de bassesses… jamais de bassesses !

« Je m’approchai de lui en lui disant : — Je ferais injure à votre grande ame si je vous parlais de la peur de la mort, et si je voulais vous persuader ce que vous savez déjà. Le plus grand bien de la vie, c’est d’agir librement ; que ce soit donc de votre gré et par une résolution toute personnelle que vous vous laissiez opérer. En huit jours, vous pourrez faire l’Italie reine, d’esclave qu’elle est. Vous porterez la béquille sans doute, mais ce sera pour vous une marque d’honneur. Vous savez que les blessures et la perte des membres sont les couronnes et les médailles des favoris de Mars. — Eh bien ! qu’on en finisse ! s’écria-t-il. — Les vomissemens le prirent presque aussitôt ; il me dit : Voici les grands symptômes, ce n’est plus à la vie qu’il faut penser. Puis, joignant les mains : Je fais vœu d’aller à Compostelle. — Alors entrèrent d’habiles médecins avec leurs instrumens, et ils ordonnèrent que l’on cherchât huit ou dix hommes pour tenir le patient. Il se mit à sourire : — Vingt hommes ne m’effraieraient pas, dit-il. — Se levant d’un air assuré, il prit lui-même la bougie, et la tint pendant qu’on lui coupait la jambe. Je m’enfuis en me bouchant les oreilles ; cependant, j’entendis qu’il m’appelait : je revins. — Je suis guéri ! s’é-