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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/303

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L’ARÉTIN.

avec rage sur cette proie et la déchirait à belles dents : c’est ainsi que, renfermé dans les murs de Venise et entouré des lagunes protectrices, il attaqua avec frénésie Clément vii, emprisonné dans le château Saint-Ange et son dataire Giberti. C’est ainsi qu’il accabla d’injures le bon et pacifique cardinal Gaddi. Mais aviez-vous la dent aiguë, la serre forte et la vengeance à cœur ; vous étiez respecté de notre homme. Il flattait Berni, l’auteur de ce terrible sonnet[1] contre lui : il versait l’encens à flots à tous les littérateurs contemporains. Par un prodige d’habileté, au milieu de cette bassesse vigilante et de cette adulation dont toutes ses lettres font foi, il trouvait moyen de ne pas perdre sa réputation d’homme satirique, de railleur effréné, de cynique redoutable ; il avait juré de ne pas se défaire de ce prestige de terreur lucrative, de ne pas décrocher cette enseigne qui l’enrichissait. De temps en temps il se lançait sur quelque pauvre misérable sans appui, sur quelque petit seigneur ignoré, sur quelque poète méprisé et sans coterie, qu’il lacérait pour faire un exemple. Quand sa réputation fut bien consolidée, il en vécut, il sut l’entretenir avec un art merveilleux ; il ne se trompa jamais sur ce que pourrait lui rapporter le mensonge tourné en éloge et le mensonge tourné en satire, ni sur l’opportunité d’un cadeau, d’une lettre, ou d’un envoi, ni sur le degré de crainte qu’il pouvait inspirer à celui-ci, ni sur le degré d’avilissement qu’il fallait employer avec celui-là. Ses lettres fournissent le modèle le plus ingénieux de l’art de mendier, et d’obtenir. C’est la diplomatie de l’aumône dans ce qu’elle a de plus subtil. Il ne se lasse pas ; il revient à la charge, il se fait pauvre, il se fait petit, il se fait grand, il se fait vieux, il se fait malade, il se fait spadassin ; il a des colères, des amours, des recherches de style, des menaces lointaines, des promesses gracieuses, des mots foudroyans, des paroles de miel. Il stimule la munificence de celui-ci en vantant la générosité de celui-là ; il est dévot, insolent, libertin ; il écrit à un jeune débauché :

« Voici mes sonnets luxurieux. Merci de tes cent écus. Dépensons, vivons, buvons frais et… soyons hommes libres[2] ! »

Et à la marquise de Pescaire, une demi-sainte, femme sentimen-

  1. V. la première partie.
  2. F . . . . o alla libéra !