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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/306

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REVUE DES DEUX MONDES.

Ce Grand-Diable, amoureux comme un soldat, quand sa maîtresse ne l’avait pas regardé d’un œil assez doux, faisait atteler ses chevaux les plus fougueux à son char (carretta), et roulait ainsi à travers la ville avec un fracas vraiment diabolique ; on eût dit que le ciel et la terre allaient s’abîmer. Ensuite, « afin d’amortir[1], dit l’Arétin, la flamme qui lui brûlait le cœur, il se ruait, avec son ami, dans les festins, dans les fêtes, dans les joutes, tantôt noyant sa passion au fond des verres, tantôt portant d’immenses coups de lance aux innocentes colonnes qui soutenaient le portique de sa maîtresse. » Pendant ce temps, l’Arétin prenait ses ébats ! Favori d’un chef redouté, jeune, brillant, téméraire, le voilà, sur son beau cheval, blanc comme l’ivoire, avec sa barbe d’ébène et son pourpoint d’étoffe d’or, qui vole et passe comme l’éclair (balenava) à travers la cité qui l’admire[2]. Une bonne comtesse, la contessa Madrina, oublie aisément son sot mari pour le jeune homme. L’Arétin vient présenter à la comtesse une lettre de ce mari qui se trouve à Milan. Après l’avoir lue : « Mon mari, lui dit-elle, m’écrit de faire pour vous tout ce que je ferais pour lui ; — venez ce soir (giacer con mi). » — La passion de Madrina devint si vive, qu’on la vit dans les églises (nelle chiese) et dans les rues embrasser cette tête si chère. Un jour l’Arétin s’oublia et s’endormit chez la dame, fort près d’elle, la tête sul piumaccio. — Voilà le bonhomme de comte (c’était un mari commode) qui arrive de Casal. Il secoue l’Arétin vivement, et lui crie : « Habille-toi ! Debout ! et va-t-en ! » L’Arétin s’en va.

C’étaient là les aventures qui faisaient rire et reverdir, long-temps après, sa vieillesse impénitente. Dans ses lettres, il aime à s’entourer de ces beaux souvenirs ; il raconte aux autres ses exploits ; il en tire vanité ; et les mœurs du temps, si commodes pour la luxure, restent en arrière de son impudence. Protecteur universel et providence des filles publiques, il leur conférait par ses éloges les dignités et les chevrons de leur métier. Personne ne l’ignorait. Les auteurs comiques faisaient paraître sur la scène de jeunes courtisanes et de vieilles entremetteuses qui affirmaient

  1. Lettere, t. 2. pag. 83.
  2. id. ib.