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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/307

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L’ARÉTIN.

que toute leur science, elles la devaient à l’Arétin, et qu’après sa mort[1] elles ne trouveraient plus de quoi vivre. Femmes de plaisir et femmes honnêtes, peu importe, se trouvent pêle-mêle dans ses lettres : il confond leurs éloges, et les mêle à ceux de Charles-Quint, de François Ier, de Titien et de Michel-Ange.

En général, elles ne s’en formalisaient guère ; il passait pour le premier homme de son temps. « Je vous suis bien obligé, écrit-il à l’une (je ne sais quelle Paolina), d’avoir cessé d’être sage pour moi. C’est une folie passagère que je regarde comme un des meilleurs instans de ma vie[2]. » Telle est son épitre laconique. Avec Franceschina, son style est sinon plus tendre, au moins plus fleuri et plus poétique. Ce n’est que miel et que rose, lune et soleil, encens et parfum, comparaisons et galanteries alambiquées que les plus ridicules auteurs de l’hôtel de Rambouillet n’eussent pas dédaignées. « Il se rafraîchit sous la pluie de ses faveurs ; » il dit que sa beauté est « la dorure qui enveloppe un excellent gâteau de frangipane ; mais la beauté trompeuse des autres femmes n’est que la feuille d’argent qui enveloppe des pilules empoisonnées. »

Franceschina était cantatrice : ambassadeurs, ducs et princes accouraient chez elle pour l’entendre. Sa renommée et son talent faisaient sa fortune, et l’Arétin, le vrai journaliste du xvie siècle, lui qui avait deviné et créé ce pouvoir, lui qui s’était emparé des clés et des portes de la gloire, n’eut pas de peine à se mettre bien avec la femme artiste. Cette liaison dura peu.

En outre, il avait un sérail, comme je vous l’ai dit. Celles qui le composaient, grisettes, cuisinières, courtisanes, étaient tenues en respect dans leurs rivalités par la magnificence, la générosité et la volonté ferme du maître. Il prenait soin des enfans qui provenaient de cet étrange ménage ; on ne lui connaît que des filles. L’une

  1. « Benedetta sia l’anima de quel dottore Aretino, che fu cagione ch’ io imparassi quest’ arte. O Pietro Aretino, o Pietro Divino, se tu potessi vedere con quante lagrime onoro la tua morte, forse che tu non mi riputeresti indegna del benefizio che tu m’hai fatto ! Oh quante Giovani ti farei godere ? »

    Ainsi parle la Medusa, personnage infâme de la comédie intitulée il Fedele, par Luigi Pasqualigo. (Rare) Venize, 1576, in-12.

  2. T. 5, pag. 244.