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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/308

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REVUE DES DEUX MONDES.

d’elles, fille de Catherina Sandella, reçut le nom d’Adria pour marquer qu’elle était née dans cette ville de Venise qui l’adorait. Adria fut aimée de son père avec une tendresse que la médisance n’épargna pas. Il fit frapper des médailles en son honneur, fit contribuer les ducs et les princes à lui constituer une dot, la maria à un riche habitant d’Urbin et parsema la plupart de ses lettres des éloges de sa fille. Mais les Arétines n’étaient pas nées pour la vie domestique : Adria se brouilla bientôt avec son mari et revint trouver son père. Nous ne parlerons pas de ses autres filles qu’il négligea toujours de faire légitimer. Il faisait des réponses extravagantes à ceux qui lui demandaient pourquoi il ne remplissait pas cette formalité. « Elles sont légitimées dans mon cœur, » s’écriait-il.

Angela Sarra tient sa place dans cette nombreuse troupe. Il paraît que c’était une femme assez prétentieuse, assez grave (sans détriment de ses plaisirs), et qui aimait l’emphase, la poésie, les gâteaux et l’amour : « Sarra ! plus belle que la lune et plus courtoise que le soleil, lui écrit-il, » et il lui envoie un beau gâteau de frangipane.

Dans une autre lettre, il lui dit qu’en passant dans sa gondole sous le balcon de cette dame, il a été brûlé de ses regards « honnêtement lascifs, modestement fiers et doucement passionnés. » Je ne sais pourquoi le soleil et la lune tiennent toujours une place dans les lettres qu’il écrit à celle-là. Il lui dit qu’elle est « pure et ronde comme l’astre de la nuit, et que la pureté de sa perfection n’a d’autres taches que celles qui ternissent un peu la pureté de l’astre nocturne. » C’était tout bonnement une courtisane vénitienne, ainsi que Mme Angela Zaffetta dont il se plut à faire la réputation, et à laquelle il donna le prix d’honneur parmi les joyeuses filles de Venise. Zaffetta venait s’asseoir entre lui et le Titien ; c’était elle qui régnait dans les repas joyeux auxquels il convoquait les musiciens et les peintres : il lui porte une certaine considération comme à la suzeraine de son métier.

« Je vous donne la palme, lui écrit-il, parmi toutes celles qui ont mené vie joyeuse. La licence chez vous a le masque de la décence. Qui dépense de l’argent pour vous est persuadé qu’il en gagne. Comment faites-vous pour avoir des amis nouveaux sans perdre les anciens ? c’est ce qu’on ne peut dire. Vous distribuez si bien