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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/76

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depuis long-temps divisés en deux ou trois branches, dont chacune avait son chef. Franceschino, celui de ces chefs avec lequel Dante avait eu des relations l’année précédente, est un homme assez obscur ; son fils Morello est un personnage beaucoup plus historique, même à part la renommée qui lui est revenue d’avoir donné asile à Dante.

Il avait joué un rôle principal dans la guerre des Blancs contre les Noirs, et rendu de grands services à ceux-ci en qualité de capitaine-général des Lucquois. Ainsi donc, il était de la faction opposée à celle de Dante, et la liaison de celui-ci avec un tel personnage est peut-être à noter comme le premier indice du grand changement qui se fit, vers cette époque, dans ses idées politiques.

Morello Malespina avait épousé une nièce du pape Adrien v, Génois, comme on sait, et de l’illustre famille des Fiesque. Cette personne, nommée Alagie, célèbre pour sa beauté, fut l’une des dames à qui Dante rendit des hommages poétiques.

Un des ancêtres des Malespina, qui vivait à la fin du xiie siècle et au commencement du xiiie, s’était rendu célèbre par son talent pour la poésie provençale, et c’était peut-être pour faire honneur à la tradition de cette renommée, que le marquis Morello se piquait d’accueillir hospitalièrement les poètes exilés, car il en accueillit plus d’un, sans compter Dante.

Ce fut, au rapport de Boccace, chez Morello Malespina que Dante recouvra les sept premiers chants de l’Enfer, réputés perdus, et jusque-là les seuls composés de la Divine Comédie. Le fait est intéressant et singulier ; il mérite d’être raconté avec détail.

En 1301, dès les premiers momens du triomphe des Noirs sous les auspices de Charles de Valois, les hommes du parti contraire, prévoyant aisément les condamnations, les confiscations et le pillage dont ils étaient menacés, s’étaient hâtés de mettre en sûreté la partie la plus précieuse de leur mobilier. Dante n’était point alors à Florence pour prendre cette précaution ; mais donna Gemma, sa femme, la prit pour lui : elle fit transporter en lieu sûr plusieurs coffres renfermant, outre divers objets de prix, des écritures parmi lesquelles il y en avait de la main de Dante.

Ces coffres restèrent long-temps comme oubliés dans l’endroit où ils avaient été déposés. Mais au bout de cinq ans, ou d’un peu plus, donna Gemma, alors occupée de se faire restituer sa dot sur les biens confisqués de son mari, eut pour cela besoin de papiers qui se trouvaient dans les coffres en question. Elle chargea donc son homme d’affaires d’aller faire la recherche de ces papiers, lui adjoignant, pour l’aider, André Poggi, ce même neveu de Dante que j’ai déjà nommé. Tout en fouillant parmi des papiers entassés pêle-mêle, André en reconnut plusieurs de la main