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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/82

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il écrivit contre eux une diatribe aujourd’hui perdue, mais que Leonardo d’Arezzo avait sous les yeux, en composant son histoire de Florence. C’est lui qui nous apprend que Dante, changeant brusquement de ton et de langage vis-à-vis les membres du gouvernement florentin dont il n’avait jusque-là parlé qu’avec beaucoup d’égards, leur prodigue les outrages les plus violens.

On ignore si la lettre de Dante parvint à l’empereur. En ce cas, elle ne changea pas sa résolution de ne rien entreprendre contre la Toscane, avant d’avoir soumis les villes révoltées de la Lombardie ; il employa six mois entiers à faire la guerre à ces villes. Il prit sans peine Crémone, qu’il traita avec la dernière rigueur. Il en démolit les remparts ; il lui ôta sa liberté et ses privilèges, et lui imposa l’énorme contribution de cent mille florins d’or. Il alla, de là, assiéger Brescia, qu’il prit aussi, mais après un long siège, et beaucoup de pertes et de fatigues. Il soumit ensuite Plaisance et Pavie ; après quoi, se tenant pour maître de tout le pays, il l’organisa dans les intérêts de l’empire, c’est-à-dire qu’il mit dans toutes les villes de petits tyrans qui avaient acheté de lui le droit de les opprimer. Cela fait, il partit pour Gênes, d’où il devait se rendre, par mer, à Pise qui lui était dévouée. De Pise, son dessein était d’aller à Rome, de s’y faire couronner, et de revenir de là soumettre enfin la Toscane.

Les succès de Henri vii, en Lombardie, avaient un peu alarmé les Florentins : ils crurent devoir se fortifier davantage contre le danger qui les menaçait. Entre divers expédiens qu’ils imaginèrent dans cette vue, ils songèrent à rappeler le plus grand nombre possible des exilés, sachant bien que ce seraient autant d’auxiliaires enlevés à l’empereur. Seulement, les chefs du gouvernement florentin qui étaient des Guelfes de la faction des Noirs, ne voulaient point courir la chance, dangereuse pour eux, de revoir à Florence les chefs de la faction des Blancs. Baldo d’Aguglione, l’un des prieurs en fonctions du mois d’août au mois d’octobre 1311, se chargea de trouver le milieu à suivre en cette occasion.

Ce Baldo d’Aguglione était un jurisconsulte retors, ennemi personnel de plusieurs des exilés florentins et de Dante en particulier ; aussi, l’un des anciens commentateurs de notre poète le qualifie-t-il de grand chien (gran cane). Baldo fit passer un décret, ou, comme on disait, une provision, portant que tous les bannis florentins auraient la permission de rentrer dans leurs foyers, sauf ceux qui seraient nominativement désignés comme n’étant point de bons et vrais Guelfes. Or, il dressa de ces derniers une liste dans laquelle Dante ne fut point oublié. C’était la quatrième ou cinquième confirmation de la première sentence d’exil prononcée contre lui.