Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/187

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
183
LES VOIX INTÉRIEURES.

tion de traduire la chair voilée par la laine ; ils savaient très bien que la draperie, par elle-même, n’intéresserait pas la multitude et plairait tout au plus à quelques hommes du métier par le mérite de la difficulté vaincue. Homère et Sophocle étaient du même avis que Polyclète et Phidias, car jamais ils n’ont cherché dans Achille ou Briséis, dans Œdipe ou Antigone, le puéril plaisir d’arranger des mots, de manier des tropes ; malgré la mélodie enchanteresse de leur langue, ils n’auraient pas cru mériter les applaudissemens de la Grèce, s’ils eussent négligé d’exprimer dans leurs vers obéissans de grandes pensées, de nobles émotions. Ils comprenaient très bien que l’image sans l’idée n’est qu’un jeu d’enfans ou de rhéteurs, et que la gloire durable n’appartient qu’à l’éloquence qui accepte le maniement des images comme moyen, mais non comme but. Tous les hommes qui ont inscrit leurs noms dans l’histoire de l’imagination humaine ont associé constamment la chair à la draperie, l’idée à l’image. M. Hugo, doué d’une aptitude singulière pour le maniement de la langue, quoiqu’il lui arrive parfois de la traiter avec brutalité, comme par exemple lorsqu’il dit à Olympio : Ta réputation dont souvent nous nous sommes écriés en rêvant, devait appliquer d’abord ses éminentes facultés à la partie extérieure de notre poésie ; et certes il y aurait de l’injustice à méconnaître ce qu’il a fait pour l’enrichissement de la rime, pour la mobilité de la césure, pour la variété du rhythme, pour l’analogie et la continuité des symboles. Les services qu’il a rendus à la partie extérieure de la poésie sont incontestables. Il a cherché, il a trouvé dans la prose, des ressources que les praticiens consommés ne soupçonnaient pas ; mais dans ses romans, comme ses drames, comme dans ses odes, il a presque toujours dissimulé, par l’éclat des images, l’absence des idées que le public attendait. Comme il possède dans le maniement des images une habileté au-dessus de tout éloge, comme il gouverne la langue avec une autorité militaire, et que bien peu, parmi les plus studieux, sont en mesure de ne pas regarder cette habileté avec étonnement, ses odes, ses romans et ses drames ont acquis une grande renommée. D’ailleurs dans quelques chapitres de Notre-Dame de Paris, dans plusieurs scènes de Marion Delorme et d’Hernani, dans plusieurs pièces des Feuilles d’automne, l’idée se montre sous l’image. Si amoureux qu’il soit de la parole, M. Hugo ne peut abolir en lui-même la faculté de sentir et de penser. Si par l’application persévérante de la méthode qu’il a créée, et qui consiste à considérer la parole comme vivant