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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/193

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DE LA RUSSIE.

les dangers de l’année 1812. On peut dire que 1812 fit aussi connaître l’empereur Alexandre à la Russie. L’empereur, bien conseillé, se montra tout-à-fait Russe dans le moment critique. Sa présence à Moscou, ses allocutions en public, sa piété vraiment nationale, le rapprochèrent du peuple, et donnèrent ce grand élan dont l’effet se fait encore sentir aujourd’hui. Mais jusqu’à l’année 1812, l’empereur Alexandre était regardé, même à Saint-Pétersbourg, comme un partisan de la France et de l’Angleterre, qui rêvait une constitution incompatible avec les intérêts de l’aristocratie, et qui n’eût pas été comprise par les classes inférieures.

Les conspirateurs qui, au commencement du règne de l’empereur Nicolas, ont été, les uns exécutés sur les glacis de la forteresse à Saint-Pétersbourg, les autres exilés à perpétuité en Sibérie, n’étaient coupables que d’avoir adopté les premières idées de l’empereur Alexandre. Ils ont trouvé, en Russie, de l’intérêt pour leur jeunesse. On a eu de la pitié pour les malheurs de ceux qui ont survécu ; mais leurs projets n’ont rencontré que l’indifférence qui s’attache aux idées prématurées.

Ce qui restera encore du règne de l’empereur Alexandre, pour le bien de la Russie, et ce que n’oubliera pas l’Europe appelée à en retirer aussi quelques avantages, ce sont les belles institutions, les établissemens utiles que lui fit concevoir et exécuter son ardent amour de l’humanité ; car c’était là le seul sentiment qui l’animait dans tous ses actes, et qui lui a dicté ses ukases en faveur du peuple. — L’empereur Nicolas, prince humain et bon, sans nul doute, mais plus homme d’état que son frère, émet des ukases semblables, dans la pensée politique de créer une classe bourgeoise. Ainsi, par une rare exception, la philantropie et la politique, le sentiment et la pensée se sont trouvés concourir, en Russie, au même but.

Ce fut l’empereur Alexandre, frappé de la douceur du régime féodal en Esthonie, qui donna, en 1801, le bel ukase en faveur des bourgeois et des paysans, qui les soustrait au régime arbitraire où les tenait la noblesse.

Par cet ukase, le serf est autorisé à jouir, tout comme un homme libre, de ce qu’il a acquis par son travail ; il est défendu aux nobles de vendre leurs serfs isolément, et sans la terre qui les nourrit. Ils ne peuvent les punir corporellement eux-mêmes, ni les marier à leur fantaisie. Cet ukase mémorable qui a été suivi d’un grand nombre d’autres, émanés, soit de l’empereur Alexandre, soit de l’empereur Nicolas, n’est pas moins que le premier article d’une véritable charte