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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/238

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a quelques qualités communes avec un souverain qu’il ne convient pas de nommer ici, et que ces qualités sont justement les plus propres à lui faire comprendre la situation de la Russie et l’importance du rôle pacifique que ses véritables intérêts, sa gloire bien entendue, l’appellent à jouer sur la scène politique du monde.

Dans les entretiens que l’empereur accorde aux étrangers, on le trouve toujours fier de son pouvoir absolu, fier des forces militaires dont il dispose, mais fier surtout des progrès que fait l’industrie sous son règne, et jaloux de les augmenter encore. Quant aux dispositions personnelles de l’empereur à l’égard de la France et du prince qui la gouverne, elles sont variables selon les évènemens, même selon les plus petits ; et comme l’empereur s’est dévoué, avant tout, à la prospérité de son empire, on peut assurer d’avance que ses sentimens, quels qu’ils soient, seront toujours dominés par les intérêts de la Russie. Il faut espérer que ces intérêts bien entendus l’emporteront, et que l’empereur de toutes les Russies n’abdiquera pas le rôle d’un grand souverain pour se faire simple membre des coteries du faubourg Saint-Germain.

Les faits ont tant d’influence sur l’esprit de l’empereur Nicolas, qu’il reste peu à faire aux hommes. Aussi ne peut-on dire lequel de ses ministres est le plus influent, si toutefois il y a en Russie un ministre influent. Le comte de Cancrin, ministre des finances, jouissait depuis dix ans d’un grand crédit auprès de l’empereur : sa vieille franchise allemande fait sa force à la cour ; mais sa disgrace, si elle avait lieu jamais, viendrait aussi un jour de là.

L’empereur, tout russe exclusif qu’il soit, a placé sa confiance dans trois Allemands, le comte de Nesselrode, le comte de Cancrin, et le comte de Benkendorff, le compagnon de tous ses voyages, son aide-de-camp général, chargé de la police de l’empire et de la sûreté de sa personne ; mais la volonté de l’empereur est telle qu’il n’y a plus de lutte entre les intérêts moscovites et les intérêts allemands. Tout est russe aujourd’hui autour de lui ; les dernières traces des idées de l’empereur Alexandre sont effacées, et le seul comte de Cancrin peut-être ose dire que la civilisation et la prospérité de la Russie ne se développeront largement que lorsque l’empereur Nicolas aura fait pour les marchands ce que Pierre-le-Grand a fait pour la noblesse, et les aura contraints de couper leurs barbes, et de prendre les coutumes européennes. Mais tous les ministres de l’empereur ne sont pas aussi hardiment sincères. Il ne faut donc pas attacher trop d’importance à l’aversion de quelques-uns des fonctionnaires