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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/376

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REVUE DES DEUX MONDES.

met prudemment à l’abri de son héros, éditeur responsable de toutes ses œuvres, en sorte qu’il peut hardiment étaler à tous les yeux son portrait, sans qu’on ait jamais le droit de le reconnaître et de lui dire : C’est vous !

Disons, maintenant que nous avons parcouru toute la série des œuvres de Pouchkin, qu’on ne saurait lui accorder la force d’invention, la profondeur de sentiment, l’audace d’images, les vues larges et philosophiques qui distinguent le génie. Chacun des sujets qu’il traite n’est guère qu’un thème sur lequel il brode complaisamment de brillantes variations, de capricieuses fantaisies ; mais c’est le style qui lui assure l’immortalité. Tout dans ce style est plein, poétique, harmonieux ; véritable sylphide, sa période s’arrondit, se balance, se pose avec un charme inexprimable ; on admire son vol léger et gracieux, et on oublie de lui demander plus de force et d’élévation ; on écoute sa voix suave et mélancolique murmurer des notes d’une douceur infinie, et l’on ne songe pas que cette voix pourrait être plus variée et plus étendue. Rappelons enfin que Pouchkin est mort à trente-six ans, dans toute la vigueur de l’âge, dans tout l’éclat du talent ; mort à une époque où son caractère, modifié par le malheur, la réflexion, l’expérience des choses et des hommes, semblait subir une salutaire révolution ; mort au moment où, sentant peut-être tout ce que ses précédentes productions avaient d’incomplet et d’inachevé, il s’apprêtait à élever un monument à Pierre Ier, à lier son nom au nom de ce puissant réformateur, dont la grande figure domine toute l’histoire de Russie, et en fait comme deux parts, l’une pour l’Asie et la barbarie, l’autre pour l’Europe et la civilisation.