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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/430

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REVUE DES DEUX MONDES.

manteau de Manuel. Lors même que l’orateur aurait une attitude calme et réfléchie, ce manteau serait inutile ; puisque l’auteur, contre toute vraisemblance, a donné à Manuel un mouvement énergique et passionné, le manteau est encore moins acceptable que dans l’hypothèse précédente. Manuel à la tribune ne se draperait pas dans son manteau ; pour recevoir une couronne des mains de la Patrie, ne doit-il pas se présenter comme à la tribune, avec simplicité ? Qu’un statuaire, inhabile à reproduire les expressions diverses de la tête humaine, essaie de compléter le sens d’une physionomie obscure par un geste violent et même emphatique, je comprends et j’excuse cette faiblesse ; mais que M. David, qui pétrit et modèle toutes les parties de la tête humaine avec une si merveilleuse habileté, ne se renferme pas dans les limites de la vraisemblance et de la simplicité, qu’il tente d’exprimer le caractère de Manuel autrement que par les lignes et les plans de la tête, c’est une faute singulière, une faute grave, que nous ne pouvons lui pardonner. Habitué à étudier, à reproduire presque chaque jour des têtes d’une signification diverse, à résumer, dans un profil de quelques pouces ou dans un buste complet, tous les ordres de pensées qui ont rempli la vie de ses modèles, depuis la rêverie du poète jusqu’aux spéculations politiques, mieux que personne il sait que l’homme est tout entier dans l’expression de la tête, dans l’ardeur ou la limpidité du regard, dans les tempes jeunes ou dévastées. Il lui est arrivé si souvent d’exprimer, dans le bronze ou le marbre, la vie entière d’un homme sans nous donner autre chose que la tête de son modèle ; il s’est si souvent montré grand historien dans ses bustes et ses médaillons, que nous avons lieu de nous étonner en le voyant recourir à l’emphase du geste et de la draperie, pour exprimer l’énergie et la persévérance de Manuel. Si, au lieu d’envelopper l’orateur dans un manteau, il se fût contenté d’élargir les basques de son habit de façon à dissimuler la maigreur des lignes de notre costume, s’il lui eût donné un geste simple et calme, le geste qui convient à un homme pénétré de la sainteté de sa mission, je suis sûr que la tête de Manuel aurait paru beaucoup plus belle. En multipliant les moyens d’expression, M. David, loin d’ajouter au sens de la tête, a donné au personnage une sorte de vulgarité ; car l’éloquence, comme la bravoure, lorsqu’elle est vraie, lorsqu’elle est sûre d’elle-même, se complaît dans la simplicité. M. David ne l’ignore pas, et s’il a drapé Manuel, c’est qu’il a douté de lui-même.

Les trois figures allégoriques placées au centre de la composition, la Liberté, la Patrie et l’Histoire, sont admirables de grandeur et de