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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/65

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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

fier cette affirmation. Quand l’hyperbole, interprète de la colère, se sert du langage ordinaire, comme dans Juvénal, par exemple, elle est forcée d’envahir successivement tous les élémens de la pensée. Dès que la déclamation s’est résolue à amplifier les objets qu’elle représente, il n’y a plus pour elle ni trêve ni repos ; elle s’enivre de sa parole, et chaque fois qu’elle ouvre la bouche, c’est pour s’éloigner de plus en plus de la réalité qu’elle veut peindre. L’unité dans la colère ainsi comprise, ainsi rendue, est une tâche difficile. Il ne suffit pas que le poète soit animé d’une indignation sincère, qu’il prenne un intérêt sérieux à la pensée qu’il exprime, qu’il soit réellement affligé des vices qu’il gourmande, il faut encore qu’il puisse renouveler ses forces à mesure qu’il les dépense, qu’il trouve dans la lutte même un redoublement d’énergie. Or, assurément cette condition est d’un accomplissement difficile ; aussi presque toutes les satires déclamées ont plutôt une chaleur factice qu’une chaleur vraie. Lues à haute voix, elles emplissent les oreilles, mais elles laissent l’ame indifférente. L’habileté du poète, si grande qu’elle soit, ne peut réussir à trouver dans la colère indéfiniment agrandie, un moyen d’émotion.

Mais la satire lyrique procède autrement. Associée à l’ode, elle emprunte à l’ode le maniement continu des images. Dès qu’elle a trouvé pour sa pensée un symbole qui lui paraît exprimer nettement tout ce qu’elle veut, elle oublie son point de départ, l’idée même qui lui a servi à préluder, pour ne plus s’occuper que du symbole qu’elle a choisi : elle le suit à travers tous les mouvemens qui lui sont imposés par sa nature ; la pensée première, ainsi transformée, n’est plus une simple vue de l’esprit, mais quelque chose de réel et de vivant ; l’intérêt, en se déplaçant, est devenu plus durable. Forcé, en suivant toutes les évolutions d’un symbole unique, de ne jamais manquer aux lois de l’analogie, le poète acquiert sur le lecteur une autorité singulière ; car chaque face de sa pensée a presque la rigueur d’une démonstration. On peut voir dans la Curée, dans l’Idole, dans la Popularité, combien le symbole, suivi fidèlement, donne de grandeur et de beauté à la satire lyrique. La lecture de chacune de ces pièces une fois entamée, l’esprit n’est pas libre de s’arrêter ; il s’attache aux premiers mouvemens de cette pensée personnifiée, et ne se repose qu’après l’avoir vue se reposer elle-même ou expirer dans la lutte. C’est à la continuité des symboles que les Iambes devront leur durée.

Sous la restauration les Iambes n’eussent pas été possibles, et si d’aventure il se fût rencontré un poète pour les écrire, ce poète n’eût pas été