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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/650

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un mélange, à eux, de fermeté, de finesse et de prudence, un mérite solide et fin, un peu en dedans, peu tourné à l’éclat, bien qu’avec du trait, et dont Mme Necker, dans les manuscrits qu’on a publiés d’elle, ne donnerait qu’un échantillon insuffisant. On ne saurait mieux étudier ces qualités de près et au complet que chez un écrivain de nos jours, âgé d’un peu plus de quarante ans, le plus distingué, sans contredit, et le plus original des prosateurs du pays de Vaud, passés et présens, chez M. Vinet.

M. Vinet est à la fois un écrivain très français et un écrivain tout-à-fait de la Suisse française. Lorsque, dans ses écrits littéraires, imprimés à Bâle, destinés en partie à la jeunesse allemande, et dédiés à des membres du gouvernement de son pays, il dit du siècle de Louis XIV notre littérature, on est un peu surpris au premier abord, et l’on est bientôt plus surpris que la littérature française, en retour, ne l’ait pas déjà revendiqué et n’ait pas dit de lui nôtre. Ses livres ne sont pas connus chez nous ; son nom modeste l’est à peine. On se rappelle au plus son Mémoire sur la liberté des cultes, couronné en 1826 par la Société de la morale chrétienne. À part les fidèles du Semeur, quels lecteurs de journaux savent le nom et les titres de M. Vinet, critique littéraire des plus éminens, moraliste des plus profonds ?

Il est élève de l’académie de Lausanne. Sorti du village de Crassier ou Crassy, qui avait été déjà le lieu de naissance de Mme Necker, il fit tout le cours de ses études à cette académie, dont la discipline était alors fort désorganisée par suite des évènemens publics. Les étudians étudiaient peu ; M. Alexandre Vinet se distingua de bonne heure, et par son application, et par des qualités plus en dehors, plus hardies ou plus gaies qu’il semble n’appartenir à son caractère habituel ; mais toute jeunesse a sa pointe qui dépasse à émousser. On cite de lui un poème héroï-comique, où il y a, dit-il, de la gaieté de collége, la Guétiade, imitation du Lutrin, et qui célèbre sans doute quelque démêlé avec le guet ; il rima encore quelques autres riens du même genre. À l’enterrement d’un professeur fort aimé, on vit s’avancer au bord de la tombe un jeune homme (c’était M. Vinet), qui fit l’oraison funèbre du défunt ; cette action ne laissa pas d’étonner un peu les mœurs extrêmement timides du pays, et, on peut le dire, celles de l’orateur lui-même. En 1815, époque bien critique pour le pays de Vaud, que Berne devait chercher à reprendre, mais que M. Frédéric-César La Harpe, ancien précepteur de l’empereur Alexandre et noble citoyen, protégea heureusement, M. Vinet, sim-