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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/314

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être aimé retombe dans le néant ; et l’artiste qui fixe une ressemblance sur la toile ou sur le marbre ne donne-t-il pas, lui aussi, une sorte d’immortalité à la matière ?

Tels étaient les derniers entretiens de Spiridion avec son ami. Mais ici commence pour ce dernier une série de faits personnels, sur lesquels j’attire toute ton attention ; les voici tels qu’ils m’ont été transmis mainte fois par lui avec la plus scrupuleuse exactitude.

Fulgence ne pouvait s’habituer à l’idée de voir mourir son ami et son maître. En vain les médecins lui disaient que l’abbé avait peu de jours à vivre, sa maladie ayant dépassé déjà le terme où cessent les espérances et où s’arrêtent les ressources de l’art ; il ne concevait pas que cet homme, encore si vigoureux d’esprit et de caractère, fût à la veille de sa destruction. Jamais il ne l’avait vu plus clair et plus éloquent dans ses paroles, plus subtil dans ses aperçus, et plus large dans ses vues. Au seuil d’une autre vie, il avait encore de l’énergie et de l’activité pour s’occuper des détails de la vie qu’il allait quitter. Plein de sollicitude pour ses frères, il donnait à chacun l’instruction qui lui convenait : aux mauvais, la prédication ardente ; aux bons, l’encouragement paternel. Il était plus inquiet et plus touché de la douleur de Fulgence que de ses propres souffrances physiques, et sa tendresse pour ce jeune homme lui faisait oublier ce qu’a de solennel et de terrible le pas qu’il allait franchir.

Ici le père Alexis s’interrompit en voyant mes yeux se remplir de larmes, et ma tête se pencha sur sa main glacée, à la pensée d’un rapprochement si intime entre la situation qu’il me décrivait et celle où nous nous trouvions l’un et l’autre. Il me comprit, serra ma main avec force, et continua.

— Spiridion, voyant que cette ame tendre et passionnée dans ses attachemens allait se briser avec le fil de sa vie, essayait de lui adoucir l’horreur dont le catholicisme environne l’idée de la mort ; il lui peignait sous des couleurs sereines et consolantes ce passage d’une existence éphémère à une existence sans fin. « Je ne vous plains pas de mourir, lui répondait Fulgence ; je me plains parce que vous me quittez. Je ne suis pas inquiet de votre avenir, je sais que vous allez passer de mes bras dans ceux d’un Dieu qui vous aime ; mais moi, je vais gémir sur une terre aride et traîner une existence délaissée parmi des êtres qui ne vous remplaceront jamais pour moi ! — Ô mon enfant ! ne parle pas ainsi, répondit l’abbé ; il y a une providence pour les hommes bons, pour les cœurs aimans. Si elle te retire un ami dont la mission auprès de toi est remplie, elle donnera en ré-